Sauf surprise de dernière minute, les Cortes [1] transformeront le projet de Loi sur la mémoire démocratique, présenté par le gouvernement de la « coalition progressiste [2] », en une nouvelle loi, dont l’objectif est de remplacer l’actuelle loi sur la mémoire historique de 2007 afin de « répondre » aux « questions en suspens dans le domaine de la protection des victimes de la guerre et du franquisme ».
En dépit du fait que dans l’intitulé de cette loi est inclus un concept à propos des victimes du franquisme : « à toutes les personnes qui ont souffert de toute forme de répression ou de persécution pendant la dictature et jusqu’à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1978 », elle maintient dans l’ordre juridique la division arbitraire des victimes de la répression franquiste établie par l’article 10 de la loi précédente. Un article qui, en plus de les diviser sans fondement par une date, établit entre elles une discrimination injuste et infâme.
Rappelons que la loi de mémoire historique de 2007, qui visait à reconnaître et à étendre les droits et à établir de nouvelles mesures à celles déjà établis pendant la période démocratique en faveur de ceux qui ont souffert de persécutions ou de violences pendant la guerre civile et la dictature. Cette loi a mis fin, avec son article 7 à l’injustice consistant à ne pas indemniser les victimes de la répression franquiste qui avaient été exécutées avant d’avoir purgé le temps minimum de prison requis par la loi 4/1990, qui réglementait l’indemnisation de ceux qui avaient souffert de l’emprisonnement pendant la dictature de Franco.
Mais, avec son article 10, elle a une fois de plus discriminé la majorité d’entre eux en fixant une indemnité de 135 000 euros uniquement pour ceux qui sont décédés après le 1er janvier 1968, de sorte que ceux qui sont décédés avant cette date ne pouvaient être indemnisés qu’avec les 9 616,18 euros fixés pour eux à l’article 7.
Une discrimination qui, en plus d’être infâme pour avoir divisé les victimes de la répression franquiste et indemnisé certaines personnes treize fois plus que d’autres sur la base d’une date choisie arbitrairement, est également infâme pour avoir « justifié » une telle infamie sur la base des « circonstances exceptionnelles qui ont concouru à leur mort » et pour être mortes “en défense et en revendiquant des droits et libertés démocratiques” ».
Comment peut-on prétendre que « les circonstances exceptionnelles qui ont conduit à leur mort » ne s’appliquent qu’à ceux qui sont morts après le 1er janvier 1968, et que tous ne sont pas morts « pour la défense et la revendication des droits et libertés démocratiques » ? Comment pourrait-on et peut-on considérer que le communiste Julián Grimau et les anarchistes Francisco Granado et Joaquín Delgado exécutés en 1963 et tant d’autres militants politiques et syndicaux exécutés avant le 1er janvier 1968 (parmi lesquels le cénétiste Joan Peiró, le président Companys de la Generalitat de Catalogne et le socialiste Julián Basteiro) ne sont pas également morts « pour la défense de la démocratie » ?
Il est vrai que l’ « esprit de réconciliation et de concorde » qui a présidé à la Transition – « une corrélation de faiblesses », selon l’écrivain Manuel Vázquez Montalbán – et le caractère bien « ficelé » (atado y bien atado disait Franco) de la Démocratie que nous avons depuis lors expliquent toutes ces incohérences et ces infamies, ainsi que le temps qui s’est écoulé depuis la Loi d’amnistie de 1977 et le fait que les crimes franquistes restent encore aujourd’hui impunis.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’il ait fallu attendre 1990 pour pouvoir indemniser ceux qui ont été emprisonnés pendant le franquisme et 2007 pour indemniser les familles de ceux qui ont été exécutés avant d’avoir purgé la peine minimale requise jusqu’alors ; mais ce qui est surprenant, c’est que les rédacteurs du projet de loi sur la mémoire démocratique et ceux qui l’ont transformé en loi acceptent la continuité dans ce texte de l’infâme discrimination subie par les victimes de la répression franquiste exécutées avant le 1er janvier 1968.
Diana Cordero
Traduction : Daniel Pinós