Les Giménologues et la récupération de la mémoire sociale

mardi 30 janvier 2024, par Pascual

Les Giménologues sont un groupe d’historiens-chercheurs amateurs français qui travaillent à la récupération de la mémoire de la Révolution sociale et de la guerre d’Espagne de 1936. Grâce à Myrtille, une giménologue, nous pouvons connaître leur travail, qui est étroitement lié au Groupe international qui a agi dans les Monegros, en Aragon, pendant la guerre de 1936.

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Qu’est-ce que les Giménologues ? Origine et trajectoire des Giménologues ? Antoine Gimenez ?

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Deux amis marseillais possédaient des copies du manuscrit des mémoires d’Antoine Gimenez, décédé en 1982 dans cette ville. Il s’appelait en fait Bruno Salvadori. Né en 1910 à Chianni (Pise, Italie), il entre très tôt en contact avec l’idéal libertaire. Il erre à travers l’Europe, soit en transportant des publications, soit en évitant la police politique qui est à ses trousses. Il est expulsé à plusieurs reprises de France et d’Espagne. C’est pourquoi il change d’identité à Barcelone et, à partir de 1935, il prend le nom d’Antoine Gimenez. Il a agi sous cette fausse identité jusqu’à la fin de sa vie. Selon ses propres dires, Antoine était un rebelle qui vivait en marge de la société et qui est devenu révolutionnaire en Espagne lorsqu’il a vu la société se réorganiser sur des bases communistes libertaires.

Bruno Salvadori

Son texte est un recueil de souvenirs de son séjour en Espagne pendant la période 1936-1939, principalement sur le front d’Aragon. Antoine rejoint la colonne Durruti, dans l’un des groupes de volontaires internationaux qui se forment à Pina de Ebro, bien avant les Brigades internationales. Le Groupe international, créé par les Français Berthomieu, Ridel et Carpentier en août 1936, est peu connu :

« Le Groupe [international] fut formé avant qu’il ne soit question d’accorder une solde aux miliciens. La plupart de ses membres avaient abandonné leur profession et leurs occupations habituelles pour accourir en Espagne. Certains venaient d’Italie, comme le jeune Giua, d’autres de la Ruhr et de la Sarre, certains de l’underground politique ou social, comme ce remarquable "casseur" romagnol qui, décidé à trouver sa fin au combat, sacrifia le butin qu’il avait accumulé en France pour acheter des armes.
Mercier Vega en 1975 (in Prologue aux fils de la nuit, Libertalia 2016)

« Bianchi, Staradolz, Bolchakov, Zimmerman, Santin, dit le Bordelais, Conte, Jimenez, Scolari, Balart, Barrientos et Cottin, compagnons de la chevauchée anonyme. »
Mercier Vega en 1970

Gimenez et Ridel. Siétamo

Antoine a combattu jusqu’à la fin de l’existence du Groupe International à Pina de Ebro, Fuentes de Ebro, Velilla de Ebro, Gelsa, Peñalba, Farlete, Alcubierre, Perdiguera, Bujaraloz, Siétamo, Sariñena, Tardienta, et en Catalogne. Mais pour lui, « les souvenirs ne sont pas seulement les faits matériels, les combats, les aventures, mais aussi les motifs plus ou moins conscients qui nous faisaient agir ».

Paco Madrid, auteur du prologue de la première édition des Mémoires, a commenté cela :

« Ce qu’Antoine Gimenez nous offre, ce sont les expériences directes de quelqu’un qui luttait – avec beaucoup d’autres – pour mettre en pratique ces idées diffuses qui jusqu’alors avaient peuplé sa vie quotidienne et qui soudain devenaient une réalité palpable. C’était un rêve devenu réalité, une utopie transformée en activité créatrice et soutenue par des milliers d’ouvriers et de paysans qui n’ont pas hésité à participer à cette nouvelle expérience révolutionnaire. Et naturellement, dans cette exposition, les relations affectives dans leur aspect le plus large ne pouvaient être absentes. [...]

Par son récit, nous savons précisément quelle était la situation sur le front d’Aragon ; avec quels moyens les miliciens durent se battre et comment leur héroïsme fut rendu inutile face à un ennemi infiniment mieux équipé. [...]

Dans les mémoires d’Antoine Gimenez, on ne trouve pas l’intrusion indispensable du héros, mais la participation consciente de l’individu. […]

Antoine Gimenez était un survivant qui devait encore traverser des expériences douloureuses tout au long de sa vie, mais de toutes, celle qui a le plus marqué son esprit est sans aucun doute l’expérience révolutionnaire dans notre pays ».

Un travail collectif, une équipe de recherche, une équipe d’étude, une collaboration ? La Giménologie ? Peut-on dire que ce terme existe ?

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Nous avons décidé de montrer le parcours de cet illustre inconnu en commençant par la réalisation collective d’un feuilleton radiophonique en 20 épisodes, diffusé sur des radios communautaires en France, au Canada, en Belgique, en France et en Suisse.

Nous avons ensuite publié une édition espagnole de ses souvenirs en 2005 : Del amor, la guerra y la revolución. Une petite édition italienne Amori e Rivoluzione a été publiée en 2007 à Lugano.

Mais en poursuivant les recherches dans les archives et dans d’autres témoignages, sur la base de ce que Gimenez nous a raconté - données, combats, discussions, vie quotidienne dans l’arrière-garde d’hommes et de femmes connus et inconnus, etc. - nous avons écrit un appareil critique plus vaste que les souvenirs d’Antoine À la recherche des fils de la nuit. C’est pourquoi nous avons inventé une chaire de Giménologie en publiant en 2006 l’édition française des Mémoires de près de 600 pages (Les Giménologues). La deuxième édition espagnole est sortie en 2009, augmentée. Ainsi que les éditions suivantes : l’édition française de près de mille pages et l’édition anglaise.

Tout cela a été fait collectivement par un petit groupe d’affinité d’environ 5 à 10 personnes en France, avec des contacts et des collaborateurs en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Suisse. C’est pourquoi la giménologie est une discipline en constante expansion, et nous continuons à nous intéresser à tout ce qui a trait à la révolution sociale qui se déroula dans une grande partie de l’Espagne en 1936.

Isidro Benet

Lors de la présentation des Mémoires d’Antoine en France en 2006-2009, nous avons rencontré des miliciens ou des militants qui ont été des protagonistes du front d’Aragon (ou leurs descendants) : Engracia, fille de Florentino Galván, membre du Conseil d’Aragon ; Emilio Marco, milicien de la Colonne Sud de l’Ebre, dont le délégué général était Antonio Ortiz ; Helios, fils de Juan Peñalver, centurion d’Emilio ; Petra Gracia, jeune libertaire de Saragosse, mère de Tomás Ibáñez ; Isidro Benet, du Groupe International de la Colonne Durruti, et son fils César ; Antoine, fils de Manolo Valiña, homme d’action de la CNT-FAI.

Petra Gracia

Les échanges qui se sont multipliés après 2006 avec ces compagnons étaient inattendus. Leurs parcours nous ont été racontés soit par eux-mêmes, soit par leurs fils et filles. Ici, nous pouvions encore approcher cette expérience sous une forme incarnée, avec des protagonistes issus de la base du mouvement libertaire espagnol. Sans aucun doute, ils ont été les derniers à nous parler avec autant de précision et, comme toujours, avec autant de passion.

Emilio Marco

Ainsi, dans la continuité de À la recherche des fils de la nuit, nous essayons à nouveau d’articuler des histoires particulières et l’analyse de questions collectives dans un livre : ¡A Zaragoza o al charco ! Le thème central de l’ouvrage est la chute de la perle anarchiste, le 19 juillet 1936, qui a représenté une terrible catastrophe pour le mouvement, en termes symboliques et militaires. C’est ce qu’ont compris les militants anarcho-syndicalistes de Catalogne et d’Aragon, qui se sont mobilisés pour la récupérer, avec un double objectif : briser les factieux, et pour une partie du mouvement établir le communisme libertaire.

Mais le cœur de ce livre réside dans la narration des expériences de six protagonistes libertaires qui, chacun à leur manière, ont fait avancer la révolution.

Un chapitre est également consacré à la seule expérience de communisme libertaire connue dans l’histoire, avec l’abolition du travail salarié. Elle s’est déroulée d’août 1936 à août 1937 dans la seule province d’Espagne sans État : l’Aragon. La socialisation de la terre, des moyens de production et de subsistance avec redistribution égalitaire des récoltes a concerné près de 300 000 personnes (chiffres des membres de la Fédération régionale des collectivités publiés en juin 1937).

Œuvres achevées :

En castillan :

– Antoine Gimenez, Del amor, la guerra y la revolución. Recuerdos de la guerra de España.
– Los Gimenólogos. En busca de los Hijos de la Noche. Notas sobre los Recuerdos de la guerra de España de Antoine Gimenez. Editorial Pepitas de Calabaza (2009).
– Helios Peñalver Segura (y los Gimenólogos). Historia de Juan Peñalver Fernández. De la pols de Mazarrón a la neu dels Alps. Vida, exili i mort d’un llibertari. Arxiu Comarcal del Baix Llobregat y los Gimenólogo (2019).
– Myrtille. Gimenóloga. Los caminos del comunismo libertario en España (1868-1937). Vol I. Y el anarquismo se hizo español (1868-1910), Editorial Pepitas de Calabaza (2022).
– Los Gimenólogos. ¡A Zaragoza o al charco ! Editorial Sueños de sabotaje, (2023).

En français :

– Les Giménologues, Les fils de la nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne, Libertalia (2016).
– Myrtille, giménologue, Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937. Et l’anarchisme devint espagnol : 1868-1910, volume 1, Divergences (2017).
– Myrtille, giménologue, Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937. L’anarcho-syndicalisme travaillé par ses prétentions anticapitalistes. 1910- juillet 1936, volume 2, Divergences (2018).
– Myrtille, giménologue, Les chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937. (Nouveaux) Enseignements de la révolution espagnole Juillet 1936 - septembre 1937, volume 3, Divergences (2019).
– Les Giménologues, ¡A Zaragoza o al charco ! Aragon 1936-1938. Récits de protagonistes libertaires, les Giménologues et l’Insomniaque (2016).

Propos recueillis par Joaquín Ruiz Gaspar. Entretien publié par le site en ligne Os Monegros, un projet culturel de la comarque aragonaise des Monegros. https://osmonegros.com

Le site des Giménologues : http://gimenologues.org


Annexe I
Liste des personnes tuées lors des combats de Perdiguera et Farlete le 11 octobre 1936 et le 8 octobre 1936.

Adorma, Placida. ?
Montes, Francisco 8-10-36 Farlette.
Remiere, Joseph 8-10-36.
Garcia, Jean 16-10-36 Perdiguera.
Alonso, Eugenio 3e Groupement.
Foret, Miguel. ?.
Medina García, José. ?.
Barrienolas, J. 8-10-36.
Bayeu, Francisco, 3e Groupement.
Brontin, Jean. 16-10-36.
Berthomieu, Louis. 16-10-36.
Marx, Augusta. 16-10-36.
Giralt, Jean. 16-10-36.
Bellini, Mario (Ortiz).
Vasco Fontana. ? France.
Romualdo del Papa. ? France.
Carascon, Drionicio. ?.
Lacalle, Simon. 16-10-36.
Jacquelin Marcel. ? Malade.
Hernaes. ? Décédé.
Gondolfer, Isidore (Ortiz).
Collin, Emile. 8-10-36.
Starandonzy. 16-10-36.
Urueno, Lorenzo. ?.
Barrado, Teodoro. 16-10-36.
Martín, Jean. ? Ortiz.
Colon Dura, Evaristo. IVe Centurie.
García, Pedro. ?.
Ruzafa, Manuel. ?.
Gloire López, Francisco. 16-10-36.
Ruiz, Eugenio. 16-10-36.
Bianchella, Albano. 8-10-36.
Valcarel, Diego. 4ème Centurie. Pina.
Artica, Vicente. IVe siècle. Pina (Artica Vidaurre, Vicente).
Castelar, Emile.
López Martínez, Antonio. ?.
Conte, Carlos. 16-10-36.
Criballes Estanislas. 16-10-36.
Scribe, Antoni. ?.
Penalba Segura, José. 16-10-36 ?.
Boudou, Rémy. 16-10-36.
Belmonte, Antonio. ? Hôpital.
Gil, Francisco. 16-10-36.
Spohu, Charles. 16-10-36.
Pérez Zorita, Julio. 16-10-36.
... Henry ....
Vitrac Yves. 16-10-36.
Kokoczinski. 16-10-36.
Baudard, Rouger. 16-10-36.
Fernandez, Pedro. 16-10-36.
Meller, Pedro. 16-10-36. Bernard [ou Pedro] Meller.
Delalain, Jean. 16-10-36.
Girbe, Suzanne [= Suzanne Hans].
Recoules, Louis [= Louis Recoule].
Lesaffre, An

Les défunts de Perdiguera correspondent au 16 octobre 1936, la liste contient quelques corrections de Los Gimenólogos. Document fourni par les Giménologues.


Annexe II
Liste des [37] personnes décédées à Perdiguera le 16 octobre 1936.

Révisée, corrigée et complétée par les Giménologues en septembre 2010 à partir de l’IIHS Amsterdam [IIHS PE 50/Case 521].

Jean Garcia
Pedro Martinez
Lorenzo Benzo
Francisco López Gloire
Francisco Gil
Charles Spohu [ou Sphou]
Julio Zorita Pérez
Yves Vitrac
Roger Baudard
Bernard [ou Peter] Meller
Jean Delalain
Suzanne Girbe [= Suzanne Hans] Louis Recoules [= Louis Recoule] Louis Recoule [= Louis Recoule
Louis Recoules [= Louis Recoule] André Lesaffre [= Louis Recoule
André Lesaffre
René Galissot Jean
Albertini Emile Boff
Manuel Hernandez
Santos Tans
Jean Ferret
Juliette Baudart
Jean Trontin
Louis Berthomieu
Augusta Marx
Jean Giralt
Simon Lacalle
Alexandre Starandonzy
Teodor Barrado
Eugenio Ruiz
Georges Chaffangeon
Carlos Conte [= Carlo Conti, l’ami italien de Durruti exfiltré de Saragosse par Isidro Benet ?]
Estanislas Criballes
Manuel Aracil
José Segura Rémy Boudou [pas vraiment mort].
Georgette Kokoczynski [son mari pourrait être Michel Kokoczynski, socialiste français, réfugié un temps à Marseille pendant la guerre puis à Oran Le « Journal du Mimosa » a été retrouvé à l’IISG].
Pedro Fernandez

Dans un autre document griffonné, difficilement lisible, on peut lire :

"Giménez a dirigé ler gr(oupe ?). Le témoin est resté presque jusqu’au dernier moment. Scolari (dernier camarade de Georgette).

Dans la liste de David Berry, on trouve les noms de quinze Français tués à Perdiguera : les trois qu’il mentionne en plus de la présente liste sont :

Bérard Mario, Bergé Raymond [peut-être tombé le 21-11-36] et Delaruelle Henri.

Dans une autre « Liste des morts dans les batailles de Perdiguerras [sic] (...) le 11-10-36 » [IISG, FAI, PE 15], on trouve également le nom de Gabaloff.

Et nous ajoutons :

Pietro Ranieri, tombé à Perdiguera le 16 octobre 1936, selon le « Dictionnaire biographique anarchite italien » BFS, Pisa 2004 ».

À noter :

Le secteur de Marseille. Un chemin vers la liberté sous l’Occupation, par Daniel Bénédite, Clancier-Guénaud, 1984, pp. 284 et suivantes.

Liste extraite de « Parcours 4 Isidro Benet La bataille de Perdiguera, 15 et 16 octobre 1936 » :
http://gimenologues.org/spip.php?article448

Photos transmises par les Giménologues et Os Monegros.

Pietro Ranieri et Bianchela Albano

Les évadés de Saragosse

Isidro Benet à Sietamo

Lettre à Isidro Benet

Emilio Marco à Monte Lobo

La prise de Sietamo