La date du jour de l’exil est désormais institutionnellement fixée, le 8 mai. Et il reste à faire le bilan du nombre de fois, au cours des deux dernières années, où les exilés et leurs familles ont exprimé clairement ce que nous souhaitions en rencontrant différents groupes politiques. Nous n’aimons pas cette date.
Le 8 mai 1944, ce ne fut pas la libération des Républicains espagnols. Ce fut une nouvelle défaite, celle de l’oubli des exilés par les Alliés lors de la signature de la capitulation nazi et l’abandon de milliers d’Espagnols aux mains du dictateur que ces Alliés ont reconnu.
Que dit l’Histoire à propos de cette date pour ceux qui avaient vécus deux guerres, la guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale, au total neuf ans et demi de conflits ? Pratiquement une décennie, il s’agissait de démocrates espagnols qui ont abandonné leurs maisons, leurs biens, leurs familles, qui ont souffert de la faim et du froid, en évitant la mort, en enterrant leurs morts, en vivant la peur et la terreur, en errant vers l’inconnu, en défendant chaque pouce de leur pays – parce que l’Espagne était leur pays –, en pleurant de rage et de douleur pour leurs pertes et en fuyant vers le Nord, sans Nord ?
La liberté les attendait là-bas, cette liberté qu’ils pensaient avoir atteinte. Et surprise inoubliable, l’attente les mena en camps de concentration. Je le précise, pas en camps d’accueil. Plus de faim, plus de froid, plus de mort, plus de familles séparées, plus d’incertitude encore. Une destination finale : le sable et la Tramontane ?
Les plus chanceux ont traversé les mers dans des navires de fortune, indécis, vers d’autres terres, d’autres cultures... En repartant de zéro. Pour d’autres : des destinations volontaires – c’était une expression. Ils furent menacés afin de les contraindre à se battre baïonnettes au canon dans la Légion étrangère française pour se battre contre Rommel, pour la moitié de l’Europe... Ils tombèrent sur des terres étrangères, morts de froid en URSS ou durant la bataille des Ardennes.
Certains ont survécu à des milliers de tirs et de bombes pour atteindre la forteresse nazie, le nid d’aigle d’Hitler. D’autres ont été réduits en esclavage dans les groupes de travailleurs étrangers. Et cette harangue de la part des officiers alliés : « Allez, allez, après on ira s’en prendre à Franco ! », s’est transformée en la plus amère des déceptions pour les survivants. Il ne resta que l’oubli et le mépris pour ces braves Espagnols.
Ces Alliés, qui ont été acclamés comme libérateurs de l’Europe, sont devenus les oppresseurs colonialistes d’autres peuples et nations, quand ils n’ont pas commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides contre des populations sans défense, comme à Hiroshima, à Nagasaki, à Dien Bien Phu, en Inde, au Vietnam, en Algérie, au Congo, en Afrique du Sud, en Angola, au Rwanda. Sans oublier le soutien apporté à des coups d’État en Amérique latine où ils répétèrent les mêmes crimes qu’ils combattirent.
Nos Espagnols républicains, on leur a menti, on les a utilisés et jetés. Même après la Seconde Guerre mondiale, ils ont été persécutés, réprimés, déportés, voire emprisonnés. Mais, avec le temps, ils ont été également honorés en France.
Non, le 8 mai n’a pas été un jour de libération pour les exilés. C’était une autre pilule amère à avaler. Beaucoup de nos courageux soldats républicains ont combattu en Afrique du Nord avec des Marocains, des Tunisiens, des Algériens ?
Et en ce 8 mai 1945, le peuple algérien est sorti dans la rue pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale et la défaite du nazisme, une guerre à laquelle il participa avec, comme l’ont dit les dirigeants français, une bravoure peu commune. Mais le colonialisme français, qui, avec les Alliés qui s’étaient partagé le monde à la conférence de Yalta et voulaient éviter la mobilisation révolutionnaire des pays d’Orient, d’Afrique et d’autres pays, a tiré sur les manifestants à Sétif, à Kherrata et à Guelma. On estime que le massacre a atteint et dépassé les 45 000 morts. Et le silence est tombé sur ces crimes. L’impunité a prévalu. Il n’y avait pas de fours crématoires comme dans les camps d’extermination nazis. Ces fours étaient des fours à chaux pour faire disparaître les preuves de ce génocide.
Le 8 mai 1945, le massacre de Sétif
La relation avec les Algériens nous est donnée par la fraternité d’une longue guerre partagée avec eux. Ce jour et ceux qui ont suivi ont été des jours de deuil pour de nombreux républicains espagnols. Parmi eux, ceux que nous honorons aujourd’hui comme les soldats de « La Nueve », les libérateurs de Paris. Si la France a inventé la devise de Liberté, Égalité, Fraternité, les Espagnols exilés, ces indésirables, ont apporté avec leur honneur et leur sang, le concept de solidarité. Après avoir combattu contre Rommel en Afrique du Nord et l’avoir vaincu, ils sont passés en Italie avec des victoires célèbres contre les fascistes en Sicile et à Monte Casino, ouvrant la voie vers Rome. En août, ils débarquèrent près de Toulon, libérèrent Marseille, les Alpes. En novembre ils libérèrent les Vosges, l’Alsace, la poche de Colmar, ensemble, ils poursuivirent avec la bataille des Ardennes, où de nombreux soldats sont morts de froid au début de 1945.
Non, Messieurs les officiels espagnols responsables de la mémoire historique, qui n’a rien de démocratique. Je le répète encore une fois : pour la Mémoire de nos combats, les Espagnols ne célèbrent pas ce jour. Pour la solidarité avec nos camarades algériens, pour ces valeurs qu’ils nous ont enseignées et dont nous avons hérité jusqu’à ce jour.
Nos parents, grands-parents et autres proches ont ouvert la porte de l’Exil en janvier et février 1939. Utilisez ces dates. On ne referme pas les blessures de nos défaites avec des blanchiments historiques intéressés. Ces blanchiments gangrènent un peu plus nos blessures. Nous n’acceptons pas la phrase « Au moins, ce gouvernement fait quelque chose ». Non, n’importe quoi, ça ne suffit pas. Quel dommage que le parti au pouvoir ne dispose pas d’un professeur d’histoire doté de la sensibilité nécessaire !
À la mémoire de mon oncle Pascual Bailo Mata. Décoré de la Croix de Guerre et des autres. Pilote d’aviation de la République espagnole. Il était rattaché à la Légion étrangère française. Il s’est battu avec le Général Leclerc en Afrique du Nord contre Rommell, en Sicile avec le Général Montgoméry et à Montecasino avec les Américains. Débarqué à Toulon, évacué lors la Bataille des Ardennes les membres gelés. La moitié de ses pieds furent amputés. La France lui a accordé l’honneur de porter le drapeau français lors des cérémonies officielles dans le département du Rhône. Lors de ses funérailles en 2005, son cercueil était drapé du drapeau français et ses compagnons Anciens combattants s’inclinèrent à son passage.
Et pour la mémoire de tous ceux qui ont combattu aux côtés des Espagnols : Marocains, Tunisiens, Algériens, soldats du Tchad, du Soudan... Les Oubliés.
Pour la DIGNITÉ de la Mémoire Historique, qui n’est toujours pas démocratique.
Elsa Osaba Bailo, plaignante de la cause argentine pour l’exil et la déportation.
Traduction : Daniel Pinós