Ni la douleur ni la mémoire
PREMIÈRE PARTIE
L’extrême-droite, la gauche et la « transition démocratique »
Le 20 novembre 2020, cela fera 45 ans que le général Franco est mort. Le dictateur a provoqué en Espagne la mort d’un million de personnes, des civils en majorité.
Avant le décès du vieux général, la dictature avait été maintenue en vie par les mêmes ministres et secrétaires d’État franquistes qui ont formé ensuite, avec la collaboration de la gauche socialiste et communiste, le premier gouvernement de « transition vers la liberté ». Durant les différents mandats de ces alliés de Franco, avant et après 1975, les meurtres contre les opposants se sont poursuivis en toute impunité. 45 ans après, aucun crime d’État n’a été jugé, aucun criminel à la solde de cet État n’a été jugé.
Après la mort de Franco, les partis de gauche affirmaient qu’« après sa mort » commencerait le « changement », avec une transition modèle où la justice serait la même pour tous. Ils légitimèrent ainsi la monarchie héritière du dictateur. Cette gauche « renouvelée » – le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) et le PCE (Parti communiste espagnol) – fit croire aux Espagnols que le fascisme serait vaincu en votant oui à la Constitution monarchiste et à l’entrée de l’Espagne dans l’OTAN. L’amnistie pour tous fut décrétée avec l’appui de ces partis de gauche : c’est-à-dire l’amnistie pour tous les franquistes coupables de crimes et pour les opposants au régime dictatorial.
Les criminels et les assassins agissant durant la dictature continuèrent à gouverner, à emprisonner, à torturer et à assassiner. Les mêmes militaires, les mêmes policiers, les mêmes juges, la même oligarchie financière et leurs hommes de main à l’intérieur et à l’extérieur de la frontière espagnole. L’Europe se fit complice du régime franquiste, sous le manteau de l’impunité dès 1955, quand l’Espagne entra à l’ONU. Des États comme la France soutinrent la dictature espagnole pendant près de 40 ans de crimes, de tortures, de prisons et de camps de concentration.
La « nation libre et souveraine » dont parlait la gauche « renouvelée » était une farce. Le peuple ne fut pas plus libre qu’avant 1977 ; il continua a être exploité, soumis et gouverné par ceux qui avaient toujours été au pouvoir depuis 1939. La souveraineté n’exista ni pour le peuple ni au Parlement, mais elle profita aux multinationales qui en furent les principales bénéficiaires.
Les proclamations des socialistes sur la « souveraineté nationale » coïncidèrent avec l’entrée de l’Espagne dans l’OTAN. Sous le gouvernement du socialiste Felipe Gonzales, les marines et les aviateurs de l’armée américaine continuèrent à occuper le territoire espagnol sur les bases militaires de Saragosse, Bardenas, Morón, Torrejón et Rota.
En Espagne, seul le nom de certaines institutions changea, de même que la couleur des uniformes des militaires et des policiers. Le Tribunal d’ordre public fut rebaptisé Audience nationale, et la « transition pour la liberté » s’effectua avec les mêmes juges que sous la dictature. Les plus célèbres tortionnaires de la Brigade politique et sociale ont continué d’agir et de circuler librement dans les rues durant la démocratie. Les plus importants d’entre eux sont toujours en vie. Beaucoup ont été promus et décorés par le « gouvernement de la démocratie ». Les phalangistes historiques, les tueurs du GAL-PSOE, les guérilleros du Christ-Roi et une pléiade d’organisations paramilitaires complètent le tableau [1].
Durant les années qui suivirent la mort de Franco, les associations de mémoire historique décomptent plus d’assassinats de militants de gauche et de syndicalistes que dans les dernières années de la vie du dictateur. Après la mort de ce dernier, des militants furent assassinés, des conseils de guerre interminables eurent lieu et des états d’exception furent proclamés par les autorités dans de nombreuses régions.
Les partis de gauche assumèrent et digérèrent les pièges du « pacte de transition pour la liberté » ; le système génocidaire se perpétua. Pendant ce temps, les députés du PCE et du PSOE participaient à des dîners avec leurs homologues d’extrême-droite, sous les lambris des palais espagnols.
Le « pacte de la Moncloa » fut signé en 1977 au palais de la Moncloa, au cours de la « transition démocratique espagnole », entre le Gouvernement et les partis politiques ayant une représentation parlementaire, les associations professionnelles, les syndicats de gauche (l’UGT, Union générale des travailleurs – socialistes –, et les Commissions ouvrières – communistes). Ce pacte avait pour objectif d’assurer une transition sereine vers un système démocratique et adopter une politique économique efficace afin de lutter contre une inflation élevée. Cela signifia la criminalisation de la CNT et du mouvement anarchiste, la démobilisation de toute la classe ouvrière menacée de répression et de menaces de licenciement. Avec l’effondrement des luttes sociales et syndicales, ils imposèrent la monarchie, en muselant les militants avec une constitution rédigée par des fascistes recyclés en démocrates serviles avec la complicité de la gauche « progressiste ».
Le combat pour la mémoire historique
Franco est mort, mais l’État lui a survécu. Le pouvoir et la corruption ont changé de mains et se sont adaptés en imitant les normes européennes et américaines. Les années ont passé, et des pays comme l’Afrique du Sud, le Chili ou l’Argentine ont entamé des processus de vérité historique, de justice et de réparation qui ont mis en évidence, devant le monde, la stratégie en matière de droits de l’homme de la singulière « transition espagnole ».
Au moins une génération de jeunes a été éduquée en tournant le dos à la sombre réalité du passé. L’ignorance du passé est l’absolution du présent ; elle permet de le manipuler pour servir les intérêts des partis politiques. C’est ce qu’ils voulaient, les un et les autres, pour construire sur l’ignorance et la manipulation un complot « démocratique » qui leur serait favorable.
Pourtant, les associations défendant la mémoire historique, les historiens, les juristes et les journalistes ont persisté. Sous leur pression, en 2007, une « loi de la mémoire historique » a été approuvée par le gouvernement socialiste de José Luís Rodríguez Zapatero : il aura fallu plus de trente ans pour adopter une telle loi. Il était temps !
Les partis signataires du pacte de la Moncloa avaient élaboré une loi d’amnistie en 1977, qui était une loi à part entière, une législation qui exonère les coupables du régime franquiste, qui les empêche d’être tenus responsables de leurs crimes devant les tribunaux. Le « pacte du silence » scellé avec l’accord des partis de gauche a enlevé tout espoir pour que justice soit rendue aux victimes du franquisme et leurs familles.
L’autre question brûlante était l’annulation des procès et la suppression des conseils de guerre, du tribunal d’ordre public ou du tribunal spécial pour la répression de la franc-maçonnerie et du communisme. Bien que la loi Zapatero ait reconnu l’illégitimité des tribunaux, elle n’a pas agi en conséquence, en n’annulant pas les sentences et en n’engageant pas l’État à réparer les dommages causés aux victimes ou à leurs descendants.
Ils ont donc transmis aux victimes de crimes contre l’humanité la tâche de demander des annulations aux tribunaux hérités du franquisme. Un piège qui a été rapidement découvert, puisque les tribunaux, composés de magistrats réactionnaires, ont refusé de rendre justice, prétendant qu’ils ne pouvaient pas annuler des décisions de justice légales dans le passé.
En 2017, cependant, le Parlement catalan a voté une loi pour annuler les procès de Franco tenus en Catalogne. Il s’agissait d’une résolution plus symbolique que pratique, sans pouvoir de recours ou de plainte auprès de l’État espagnol. Rendre justice, agir légalement contre les franquistes responsables de crimes et de tortures, il ne pouvait en être question. Les plus tenaces et les plus combatifs des défenseurs de la vérité historique ont dû se tourner vers l’Argentine pour y demander la justice que leur pays leur refusait.
Bien d’autres questions restent en suspens ; elles concernent le pillage économique et patrimonial, la réquisition de biens et de propriétés appartenant aux républicains, l’escroquerie franquiste de la confiscation de l’argent républicain et le travail forcé des prisonniers « rouges ». Rien ne fut fait pour rendre leur dignité aux guérilleros antifranquistes, aux internés dans les camps nazis et aux militants victimes de la répression durant la « transition démocratique ».
L’enlèvement de nouveaux nés a démarré dans les prisons pendant la dictature. Après la mort de Franco, les vols de nourrissons se sont prolongés avec la démocratie, sous le patronage de l’Église, jusque dans les années 1980. Quelle réponse le gouvernement « progressiste » de Pedro Sanchez apportera-t-il aux victimes ?
Le gouvernement peut-il mettre un terme au mépris et au silence qui règnent depuis 1977 ?
Avec l’accession au pouvoir du PSOE et de Unidas Podemos, le nouveau gouvernement espagnol est-il prêt à mettre un terme à un demi-siècle de mépris et à restaurer efficacement et équitablement la dignité des victimes de la répression ? Le nouveau gouvernement espagnol prétend vouloir corriger la loi de mémoire de 2007, afin de traiter toutes les demandes et les affaires en cours.
Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la mort de Franco, un demi-siècle de trahison de la part de la classe politique vis-à-vis de la grande majorité des victimes de la dictature franquiste. Pour les associations de mémoire historique, il a fallu de nombreuses années pour vaincre la résistance des pouvoirs, pour dénoncer les crimes du franquisme et de la post-dictature, pour expliquer et enquêter, pour exiger dignité, justice et réparation pour les victimes. Les pactes de la transition étaient le mur de soutènement visant à cacher aux Espagnols les crimes du franquisme ; ils imposèrent la « loi du silence » à laquelle les partis de la transition ont adhéré à l’unanimité : Parti populaire, PSOE, catalanistes de CiU (Convergence et union) et PNB (Parti nationaliste basque).
Le PSOE vient d’enregistrer au Congrès des députés un projet de loi visant à « donner un nouvel élan » à la loi Zapatero de 2007 et établir « des mesures en faveur de ceux qui ont souffert de persécutions ou de violences pendant la guerre civile et la dictature ». Le débat a été lancé.
De nombreuses associations de mémoire ont déjà protesté contre l’imprécision et le flou des nouvelles propositions, en demandant des réparations pour les lacunes et les erreurs de la loi de 2007. En plus d’ignorer certaines revendications importantes des associations de mémoire, la trahison fondamentale de cette loi est qu’elle établit deux catégories de victimes : celles d’avant 1968 et celles d’après. Une distinction aléatoire et capricieuse, inacceptable dans l’argumentation juridique et politique d’un pays qui se prétend démocratique et qui veut rendre justice aux victimes de la dictature.
La CGT (Confédération générale du travail), syndicat anarcho-syndicaliste, a adressé une lettre aux parlementaires demandant que, cette fois-ci, les victimes du franquisme soient considérées sans distinction selon les dates auxquelles elles ont subi la répression, et que la loi soit adaptée aux recommandations faites par les différents rapporteurs des Nations unies, qui ont enquêté et étudié la question.
La loi actuelle établit le droit à une indemnisation de 135 000 euros pour les exécutions effectuées entre le 1er janvier 1968 et le 6 octobre 1977. Celles qui sont antérieures à 1968 ont droit à une indemnisation de 9 615 euros. Le nouveau projet de loi présenté par le PSOE n’envisage pas de suspendre l’article de loi précédent qui établissait cette discrimination. C’est une infamie de maintenir cet article discriminant les victimes de la répression franquiste d’avant 1968. Cette discrimination a été justifiée par l’auteur de l’article 10 « en raison des circonstances exceptionnelles de la répression franquiste ».
Comme si les assassinats de Lluís Companys, président de la Catalogne jusqu’en 1939, du militant anarchiste Joan Peiró, des frères Sabaté et des guérilleros anarchistes des années 1940 et 1950, du militant communiste Julián Grimau, des activistes anarchistes Joaquín Delgado et Francisco Granado, perpétrés par le régime franquiste avant 1968, ne s’étaient pas produits dans les mêmes « circonstances exceptionnelles de la répression franquiste » !
De même, les opposants qui ont souffert de longs emprisonnements dans les geôles espagnoles ne doivent pas être divisés en deux classes.
Selon Carmen Calvo, la vice-présidente du gouvernement espagnol, les condamnations du régime franquiste seront annulées ; la loi devrait permettre l’ouverture des archives de la guerre civile et de la transition, près d’un demi-siècle après la mort de Franco ! Ces documents sont datés entre le 14 avril 1931 – jour ou fut proclamée la République – et le 31 décembre 1982, juste avant le début du premier mandat du socialiste Felipe González. C’est une étape, mais il faudra voir ce qu’il adviendra des nombreux dossiers classés « matière réservée » qui dorment enfermés dans les archives officielles, civiles et militaires.
Le gouvernement espagnol souhaite ouvrir une ligne d’aide pour que les mairies puissent ouvrir les fosses communes et créer une banque d’ADN afin de pouvoir identifier les restes exhumés et « réhabiliter » le Valle de los Caídos [2]. La proposition de loi est en cours de discussion au Congrès et au Sénat. Il reste encore de nombreuses inconnues à résoudre. Par exemple : savoir si les peines impliquant la saisie de biens ou les amendes en espèces seront annulées. L’État restituera-t-il aux familles des républicains la valeur de ce qui leur a été enlevé ? C’est la principale question que tout le monde évite jusqu’à présent : la confiscation de « l’argent républicain », qui touche un millier de familles.
Pendant la guerre civile, les rebelles franquistes ont monté une escroquerie pour anéantir l’économie républicaine. Ils exigeaient que les habitants des campagnes et des villes qu’ils occupaient militairement remettent tout l’argent républicain qu’ils possédaient aux mairies, aux casernes ou aux banques. Ceux qui ont conservé l’« argent rouge », mis en circulation après le 18 juillet 1936, furent arrêtés et poursuivis pour contrebande.
L’argent républicain réquisitionné pendant la guerre était encore en vigueur dans une partie de l’Espagne et parfaitement légal en Europe ; c’est pourquoi on soupçonne les franquistes d’avoir fait des investissements, des transactions et des affaires succulentes avec le butin volé aux vaincus.
L’Allemagne a rendu une bonne partie des biens confisqués aux Juifs. L’État espagnol, à la fin de la dictature, a rendu aux partis et aux syndicats le patrimoine réquisitionné par Franco : pourquoi ne fait-il pas de même avec l’argent républicain que les partisans du dictateur ont volé aux particuliers ? Et, plus encore, si l’on soupçonne que cet argent leur a apporté d’énormes bénéfices.
Pour l’instant, dans la proposition présentée le 24 janvier dernier au Congrès par le PSOE, il ne semble pas y avoir d’intention de remédier à cela. Il s’agit d’une catégorie de victimes « rouges » qui ne peut pas faire valoir ses droits à la démocratie espagnole.
DEUXIÈME PARTIE
L’interdiction de « l’apologie ou l’exaltation » de la dictature franquiste
La secrétaire générale adjointe du PSOE, Adriana Lastra, a exprimé la volonté de son parti d’inclure dans le code pénal l’interdiction de « l’apologie ou l’exaltation » de la dictature franquiste et de ses crimes. La mesure a déjà suscité un grand débat, non seulement parmi les juristes et les spécialistes du droit, mais aussi au sein de la gauche et parmi les acteurs sociaux.
Cette mesure a été incluse dans le programme électoral de novembre du PSOE et dans son projet de réforme de la loi sur la mémoire historique, ainsi que dans l’accord programmatique entre le parti de Pedro Sánchez et Unidas Podemos, qui s’ajoute à d’autres mesures comme l’exhumation de la tombe de Franco.
La mesure est prise par le PSOE, le parti qui a le plus gouverné l’État espagnol depuis 1978 et qui a été le principal garant de l’impunité des crimes de Franco et de la continuité de l’appareil d’État franquiste, du système judiciaire, de la police et de l’armée. Loin d’être une action qui favorise la lutte contre le franquisme et l’extrême droite, en renforçant le code pénal et en sanctionnant les « délits d’opinion », elle ne peut que finir par limiter la liberté d’expression en se retournant contre les organisations sociales et politiques de la gauche et de la classe ouvrière.
La mesure du gouvernement, bien qu’elle puisse sembler être un « coup » porté à l’extrême droite, durcit en réalité les outils politiques répressifs de l’État et ouvre la possibilité de restreindre sévèrement la liberté d’expression. Comme c’est le cas pour toutes les mesures qui renforcent l’appareil punitif de l’État.
Nous l’avons vu avec l’application de l’article 510 du code pénal, « qui a initialement réglementé les crimes de haine contre les minorités et qui a été utilisé par les juges et les procureurs pour poursuivre des centaines de militants catalanistes pour délits d’opinion ». La loi française contre les ligues fascistes de 1935 n’a-t-elle pas été utilisée par Charles de Gaulle pour mettre hors la loi l’extrême gauche après mai 1968 ?
Heureusement, de nombreuses voix commencent déjà à exprimer leur rejet de l’approche punitive que le gouvernement du PSOE-Unidas Podemos cherche à adopter. Le code pénal est un outil de répression du pouvoir en place et n’a jamais été utilisé pour conquérir des droits. La gauche peut-elle engraisser le code pénal avec des crimes d’opinion ?
Les obstructions du pouvoir en place pour empêcher de punir les coupables
Le gouvernement « progressiste » refuse d’abroger dans sa totalité la maudite loi Mordaza de 2015 [3] et de remettre en question cette loi du « bâillon numérique », une loi visant à contrôler l’expression de l’opposition catalane ou l’opposition de la gauche radicale sur le web – des mesures mises en place par le Parti populaire et la droite lorsqu’ils étaient au pouvoir.
Il y a quelques jours seulement, le gouvernement de la gauche a refusé de rendre publics les dossiers sur les « états de service » du tortionnaire Billy el niño [4], et la fondation Francisco Franco continue de recevoir des fonds publics.
Tout récemment, le gouvernement de Pedro Sánchez a refusé de permettre à la juge argentine María Servini d’interroger, dans le cadre de la querella argentina – la plainte argentine [5] –, le phalangiste Rodolfo Martín Villa [6], ministre de l’Intérieur du premier gouvernement après la mort du dictateur espagnol.
Aujourd’hui, le PSOE s’oppose à la création d’une commission d’enquête parlementaire à propos des irrégularités financières du roi Juan Carlos Ier. Ce dernier fait l’objet d’une enquête du bureau du procureur anti-corruption. Il s’agit de 100 millions d’euros offerts au monarque par l’Arabie saoudite pour avoir usé de son influence lors de la signature d’un contrat d’armement entre l’Espagne et ce pays. Une partie de cet argent – 65 millions – aurait ensuite fini sur le compte suisse de sa maîtresse.
Affronter l’extrême droite et l’État issu de la transition, c’est remettre avant tout en question le système judiciaire et répressif. C’est également abroger la loi Mordaza et ses articles aberrants, comme « l’exaltation du terrorisme », dont sont victimes en Espagne les anarchistes qui défient le pouvoir en manifestant. C’est mettre fin aux lois sur les étrangers et aux véritables prisons pour immigrés que sont les centres de détention fermés. C’est lutter pour l’ouverture de toutes les archives des forces répressives durant la dictature.
C’est également remettre en question dans sa totalité la loi travail de 2012. Elle fut votée sous le gouvernement de droite de Mariano Rajoy. C’est la réforme la plus dure pour les travailleurs depuis la création du Statut des travailleurs de 1980. C’est une réforme qui bafoue la négociation collective, qui encourage le licenciement libre et gratuit et qui donne tous les droits aux patrons qui voudront, à l’avenir, licencier, baisser les salaires et changer les horaires. Le pays demeure miné par un taux de chômage de près de 13,8 %, plus du double de la moyenne européenne. Plus de 26 % de la population est exposée à la pauvreté et à l’exclusion sociale.
Le PSOE est au pouvoir depuis juin 2018. Depuis bientôt deux ans, où trouver les signes véritables du changement ? Certaines déclarations laissent à penser que l’Espagne ne pourra pas changer de politique sociale. Pedro Sanchez a participé à plusieurs sommets européens où il a rassuré l’Union européenne et les milieux financiers, en affirmant qu’il se conformerait aux directives européennes en matière de budget et de déficit. Dernièrement, lors d’une visite à l’Élysée, il s’est déclaré favorable à une alliance au sein du Parlement européen entre socialistes et libéraux.
Leurs alliés de Unidas Podemos se sont institutionnalisés depuis bien longtemps, ils ne parlent plus de leur héritage du mouvement des Indignés et de l’anticapitalisme affiché lors de leur création. Les pourfendeurs de la caste politique font désormais eux-mêmes partie de cette caste, et leur alliance avec les sociaux-démocrates du PSOE a fait d’eux des supplétifs.
Les associations de mémoire historique et les anarchistes refusent toute compromission avec le Parti socialiste espagnol
Les associations de mémoire historique, la CGT, la CNT, la FAI et les organisations anarchistes espagnoles dans leur ensemble ont refusé de participer à toute discussion avec le pouvoir en ce qui concerne la mémoire historique. Les anarchistes n’ont pas besoin de politiciens pour rendre hommage aux combattants pour la liberté ; c’est ce qu’ils ont toujours fait et c’est ce qu’ils font encore aujourd’hui. Ils ont refusé toutes les compromissions et tous les financements qui leur étaient proposés par l’État.
N’oublions pas que plusieurs centaines de prisonniers politiques demeurent en prison en Espagne. Parmi eux : des Basques, des Catalans, mais aussi des militants autonomes et des anarchistes, selon le Cruz negra anarquista, la Croix noire anarchiste.
Voici la réponse du secrétaire national de la CNT espagnole aux sollicitations du ministère de la Justice espagnol pour que les anarcho-syndicalistes participent à l’élaboration d’un programme des commémoration des « 80 ans de l’exil républicain » :
« Nous sommes bien conscients que la CNT dérange beaucoup de monde, que son indépendance est incompatible avec les intérêts d’un parti ou d’un gouvernement. Et, au cas où il y aurait encore des doutes, au cas où l’on penserait que le néant et le mépris pourraient nous entacher, nous avertissons que nous continuerons à nous battre, aujourd’hui comme hier. Rendez-vous dans les rues. »
Daniel Pinós