Compléments sur l’Alliance

lundi 22 février 2021, par memoria

Ce texte se propose de revenir sur les circonstances qui ont présidé à la création de l’Alliance, puis à celle du Comité Espagne libre, ainsi que sur les buts et les objectifs de l’Alliance.
Ce texte complète celui de René Berthier, À propos de l’Alliance. En ce qui concerne le texte de Berthier, téléchargeable sur le site « Monde nouveau », je suis en tout point en accord avec ses analyses théoriques, excepté en ce qui concerne la CGTSR, vue comme anarcho-syndicaliste, ainsi que sa charte de Lyon de 1926, qui n’a eu aucune influence sur la création de l’Alliance et que je n’ai pas entendu mentionnée comme référence nôtre au cours des années 1968-1974, période pendant laquelle je fus directement impliqué dans l’Alliance. (À partir de cette date, je pris quelque distance car, lors d’une de nos permanences hebdomadaires, l’un de nos camarades présents depuis le début annonça à la cantonade qu’il ne serait pas disponible à un moment donné car, ancien appelé du contingent de la guerre d’Algérie, il devait effectuer une période militaire en tant que réserviste, au grade de capitaine… du 2e Bureau, sans que cela ne suscite de réaction particulière, ce qui me parut de mauvais augure en termes de sécurité.)


En septembre 1968 se tint donc à la Maison Verte, à Paris (18e), une réunion rassemblant des anarchistes et sympathisants de Paris et de province, la plupart intéressés par le fait syndical ou appartenant aux différentes confédérations existantes.
Il en sortit, dans la lignée de Mai 68, la volonté d’établir un bureau de liaison ou de correspondance, et Suzy Chevet, l’organisatrice de cette rencontre, me proposa d’emblée comme secrétaire et demanda si quelqu’un voulait m’assister – ce fut Jacky Toublet.
Pourquoi moi ?
Parlons d’abord de l’autre maître d’œuvre de cette rencontre sans qui tout le reste n’aurait pas été possible, ni l’Alliance ni le Comité Espagne libre : Albert Sadik, camarade infatigable, dévoué et d’une loyauté à toute épreuve. Il était parfois confus ou brouillon dans ses propos, mais il était hors pair pour établir des contacts, mettre des réseaux en branle, et il avait l’esprit fort clair quand nous étions reçus par un secrétaire confédéral ou qu’il s’adressait à un ministre des Affaires étrangères.
En septembre 1965, après mon retour d’Espagne, José Pascual Palacios (1916-1970), l’un des responsables de mon ancienne tendance libertaire des Juventudes libertarias, me le présenta. Albert Sadik, en tant que secrétaire de Louis Lecoin, était à la manœuvre pour animer les comités de soutien aux trois jeunes Français arrêtés en Espagne en avril 1963 (Batoux, Ferri et moi-même).
Avec Lecoin, ils avaient tissé une véritable toile d’araignée sur toute la France avec, comme par hasard, des anars militants syndicalistes à Bordeaux, Nantes, Saint-Nazaire, Limoges, Niort, etc. Ces mêmes camarades que Sadik rameuta pour la réunion de la Maison Verte en leur annonçant que leur « jeune protégé » serait présent. Comme ils seront là pour la création de l’Alliance et comme ils répondront présent (même ceux qui avaient pris leur distance avec celle-ci au cours des années) pour celle du Comité Espagne libre. Et Suzy me proposa, sur suggestion de Sadik, car j’étais un ancien du groupe Louise-Michel.
Si nous pûmes aller vite en besogne, c’est grâce à ce capital de confiance originel. Pour les « vieux », l’affaire était verrouillée et les jeunes pouvaient aller de l’avant.
En quelques conférences syndicales nationales, le besoin de dépasser le stade du simple bureau de liaison apparut rapidement.
L’idée de base partait du constat que nous étions des militants dispersés dans toutes les confédérations, y compris la fédération de l’Éducation nationale, que chacun voulait rester dans sa « boutique » pour l’avoir choisie en connaissance de cause, et que nous pouvions en tirer une synergie en constituant une « alliance ».
Je fis la proposition de la dénommer ASRAS (Alliance des syndicalistes révolutionnaires et des anarcho-syndicalistes), d’une part car le sigle sonnait bien et que, d’autre part, Jacky Toublet, qui n’était pas anarcho à l’époque mais syndicaliste révolutionnaire, y tenait personnellement, et en référence à La Révolution prolétarienne qui abritait notre permanence. Puis cela devint l’Alliance syndicaliste, même si le groupe de Bordeaux maintenait ASRAS.
En ce qui concerne le terme « Alliance », je m’inspirai directement de l’Alliance bakouninienne, sans le mentionner pour éviter son rejet…
Entre-temps, certains s’écartèrent ou allaient s’écarter, les anciens de FO qui s’arc-boutaient à leur boutique « révolutionnaire » ou en instance de devenir permanents syndicaux, et les camarades de l’Union anarcho-syndicaliste qui tenaient à leur spécificité enseignante qui les mettait en « congé militant » révolutionnaire de juin à octobre…
Avec Jacky Toublet, nous fûmes à l’époque parfaitement synchro.
Nous avions atteint un premier objectif : réunir les militants sérieux de notre mouvance (travaillant et insérés dans la vie sociale ou culturelle), écarter les marginaux ainsi que « les ploumploumtralala et les boumboum », comme disait Thierry, réunis sur une base de lutte de classe, ce qui écartait également ceux qui considéraient que l’anarchisme est un pur humanisme, ainsi que ceux pratiquant la double appartenance à la franc-maçonnerie, organisation interclassiste (mais je n’ai rien contre les libertaires qui font de l’entrisme dans la FM). C’est d’ailleurs sur la base de son appartenance à la Grande Loge de France que nous avons écarté Alexandre Hébert, secrétaire de l’UD FO Loire-Atlantique, et non parce qu’il était permanent.
Dans notre esprit, nous avions séparé le bon grain de l’ivraie et nous pouvions présenter un espoir de regroupement libertaire dynamique et conquérant établi sur des bases saines et attractives.
Le deuxième objectif, que j’inspirai directement en raison de mon expérience espagnole passée, était la constitution d’un groupe de soutien aux militants anarcho-syndicalistes de l’exil et en Espagne, qui luttaient contre le franquisme en reconnaissant la primauté de la résistance intérieure. S’agissant de l’exil, cela concernait Frente Libertario et les Amigos de la CNT.
Une fois le premier objectif atteint, nous devions prospecter large car nous n’avions pas une vocation groupusculaire à la mode d’après 68. Nous avions établi quelques points assez facilement acceptables devant permettre un recrutement large, mais nous avons échoué pour deux raisons essentielles sur lesquelles je reviendrai.
Revenons sur le principe de synergie de l’Alliance. Elle était renforcée par le fait que nous annoncions la création de l’Alliance, non pas comme une simple coordination de factions ou de tendances syndicales, mais comme un élément moteur de la réunification syndicale qui a toujours été un souhait collectif des travailleurs. Là se situait notre légitimité morale, et cela fondait notre acceptation par les confédérations syndicales.
D’ailleurs, Jacky et moi nous eûmes un entretien impromptu avec Henri Krasucki (mon parrain politique !) au siège de la Conf, pour présenter l’Alliance et, entre autres, lui demander de faire en sorte que le service d’ordre de la CGT cesse de s’en prendre aux militants de l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste) qui défilaient avec la CGT en queue de cortège ; demande à laquelle accéda la CGT.
Ensuite, avec Albert cette fois-ci, nous rencontrâmes Eugène Descamps (1922-1990) pour la première fois en 1970, puis en 1974-1975 lors de la création du CEL dont il fut un ardent partisan et l’un des fondateurs.
J’avais rencontré des chrétiens sociaux à la prison de Madrid ; je connaissais leur rôle dans la Résistance française ainsi que dans les luttes anticoloniales et l’aide au FLN algérien. Par ailleurs, n’ayant pas de tradition révolutionnaire ouvrière propre, la tendance Eugène Descamps (Reconstruction) se rattachait expressément à la tradition libertaire.
Eugène Descamps allait passer la main du poste de secrétaire général car il était partisan de la rotation des mandats. Il était heureux de constater la présence d’une tendance anarcho-syndicaliste au sein de sa CFDT car il voyait arriver la prise en main de celle-ci par les sociaux-démocrates avec crainte. Il dit nous ouvrir toutes grandes les portes.
Jacky n’en fut pas convaincu. « Attendons qu’ils fassent le premier pas », dit-il au retour, et nous laissâmes passer cette première chance qui ne se représenta pas après le départ de Descamps en 1971.
Lors de ce premier entretien, nous abordâmes également la question espagnole. Descamps souhaitait que la CFDT établisse des relations avec la future CNTE et, déjà, entretienne des relations avec la CNTE clandestine de l’intérieur, qui participait à une Alliance syndicale ouvrière (en en étant son élément moteur) réunissant anarchistes, socialistes et syndicalistes chrétiens basques. La CFDT, elle, soutenait l’USO (Union syndicale ouvrière, essentiellement en Catalogne).
Descamps nous mit, Jacky et moi, en relation avec la commission internationale de la CFDT, dont le secrétaire était René Salanne, pour mettre ce projet en route et le concrétiser (commission qui, fort heureusement, ne pratiquait pas la rotation des mandats !). Ce fut le début d’une relation étroite avec René Salanne et Claude Evain, qui s’établit jusqu’au premier congrès de la CNTE postfranquiste, la CFDT se proposant de parrainer l’intégration de la CNTE dans la Confédération européenne des syndicats. (Au final, le premier congrès postfranquiste refusa la main tendue par la CFDT avec dédain et d’une mauvaise manière.)
Un exemple concret de ce que pouvait être la pratique et l’utilité de l’Alliance fut sa première intervention dans une grève au printemps 1971.
La SEP, Société européenne de propulsion, près de Bordeaux, était en grève. Trois cents ouvriers que l’employeur, à midi, menaçait de lock-out si la grève avec occupation ne cessait pas dans les deux heures.
Leur délégué, Vladimir Charov, membre de l’Alliance, appela le secrétariat : « Que peut faire l’Alliance ? » Au cours des deux heures suivantes, une avalanche de télégrammes de solidarité d’origines les plus diverses parvint à l’assemblée générale des grévistes de plus en plus enthousiastes au fur et à mesure de leur lecture. À 14 h, le patron retira son lock-out car il craignit que son entreprise ne fût choisie par les syndicats pour mener une lutte exemplaire.
Les trois cents ouvriers, apprenant que l’Alliance avait été à la manœuvre, adhérèrent en bloc à celle-ci… sans que cela eût la moindre incidence sur la réflexion du groupe parisien, parce qu’il ne s’agissait pas de militants et que personne n’avait entendu parler de l’intervention de l’Alliance.
Bref, cette action purement syndicaliste ne suscita aucun intérêt à Paris, car peu « spectaculaire », me dit-on, alors même qu’elle incarnait notre raison d’être. (Hélas ! nombre de camarades parisiens ne se sentaient bien que dans des parlottes entre militants chevronnés !)
Le seul groupe qui ne cessa d’avoir une pratique et une réflexion militantes soutenues et conformes à l’esprit de l’Alliance fut alors celui de Bordeaux.
Le groupe parisien pécha vite par une tendance à l’entre-soi et ne savait pas aller au-devant de l’autre, en dehors du lieu de travail. Il était plus versé dans la théorisation que dans la simple pratique politique, tel l’abc de la prise de contact : se rendre chez le sympathisant pour discuter cinq minutes au lieu de l’attendre inutilement à la permanence hebdomadaire, en tirant des plans sur la comète pour tuer le temps.
Puis nous mîmes à Paris la charrue devant les bœufs en voulant publier un mensuel, Solidarité ouvrière, typographiquement irréprochable, se devant d’être révolutionnaire tout en ne l’étant pas trop pour ne pas effaroucher notre cible de lectorat principalement visé, celle constituée par les ouvriers du Livre parisien – ce qui restreignait toutefois la diffusion et devint un poids mort qui entrava le développement de l’Alliance. Alors qu’un simple bulletin d’adhésion correspondant à nos mille adhérents de l’époque aurait suffi, avant de se projeter dans un mensuel modeste.
Le problème fut soulevé et enterré dans la dernière conférence syndicale fédérale à laquelle j’assistai en 1975 ou 1976.
Quant au Comité Espagne libre, il fut une émanation des Comités pour l’Espagne libre de Louis Lecoin, durant la guerre civile espagnole de 1936-1939.
Sa nécessité surgit lors de l’arrestation puis de l’exécution de Puig Antich en mars 1974.
L’Alliance avait l’appui de la commission internationale de la CFDT pour organiser une protestation humanitaire en vue d’obtenir la grâce.
J’étais en contact avec un responsable du MIL et lorsque je lui annonçai que nous ne pouvions pas apporter un soutien politique (en raison des prises de position anti-syndicalistes du MIL) mais seulement humanitaire en tant que syndicalistes, et que nous étions prêts à coordonner nos efforts, il me répondit que « Puig souhaitait un soutien politique ou rien ». Vrai ou faux, seul mon interlocuteur le savait, mais nous fîmes comme nous pûmes, sans illusion. Toutefois, nous en tirâmes la conclusion qu’il nous fallait disposer d’une structure de soutien qui ne dépendrait pas de la bonne ou mauvaise volonté des organisations auxquelles appartenaient les militants en danger.
Ainsi naquit l’idée de redonner vie au Comité de Lecoin, son ancien secrétaire Albert Sadik se faisant fort de constituer un comité d’honneur hors pair – obtenant même du ministre des Affaires étrangères en exercice, Maurice Schumann, Français libre, une lettre de soutien inconditionnel…
Aujourd’hui, nous avons du mal à concevoir que toute la gauche non communiste jusqu’aux libéraux d’alors considéraient les anarchistes comme légitimes pour donner le « la » en cette affaire, en 1974 comme en 1936…
Tout le bureau était constitué de membres de l’Alliance mais le CEL était autonome. Le comité d’honneur comprenait, entre autres, Eugène Descamps, James Marangé, ex-secrétaire de la FEN ; nous touchions toutes les tendances, y incluses les opinions protestantes ou catholiques, avec Jean-Marie Domenach de la revue Esprit, Badinter, Halimi, etc. Ce comité d’honneur fit notre force pour intervenir tous azimuts.
Deux cents comités locaux furent constitués en peu de temps (la liste est archivée). Bordeaux, comme par hasard, fut le plus important et le plus actif.
Mais Freddy Gomez, le secrétaire, et moi, le président, nous nous retrouvâmes isolés à Paris car l’Alliance connut un coup de Calgon « stalinien » à la façon anar !
Le bureau du CEL était constitué du nombre requis par la loi de 1901 régissant les associations. Un savant équilibre des tendances franco-espagnoles avait été établi pour ne froisser personne, comme il se doit. Mais un membre du bureau fut jugé en délicatesse avec l’Alliance par son groupe parisien. Une forte délégation vint me voir pour exiger son retrait du bureau, sous peine de me voir retirer l’appui de ce groupe pour l’action du CEL.
Je refusai cette façon de procéder et demandai que l’affaire soit tranchée en conseil fédéral de l’Alliance, qui me donna raison car les camarades de province estimaient que Paris s’attribuait un peu trop de prérogatives aux dépens du fédéralisme.
Mais, outre son comité d’honneur et la qualité de ses avocats, le CEL avait un autre point fort : il était persona grata auprès de l’AFP dès lors que je téléphonais personnellement, et tous nos communiqués passaient sur les téléscripteurs et étaient repris par la presse car ils étaient fort concis.
Il fallait en général réagir dans l’urgence, et nous étions efficaces car nous n’étions que deux à la manœuvre avec Freddy Gomez. De plus, nos démarches ou actions étaient relayées par Amnesty International avec laquelle nous avons toujours collaboré étroitement, comme lorsque nous fîmes sortir du Chili le petit-fils de Gaston Leval par une belle manœuvre diplomatique, en agissant simultanément sur les Affaires étrangères françaises et sur l’ambassadeur chilien à Paris.
L’activité de notre comité était constituée d’actions obscures mais efficaces qu’on ne pouvait détailler sur la place publique, d’où le reproche : « on ne sait pas que c’est nous les anarchistes », « ça ne nous rapporte rien politiquement ». Simplement, nous faisions œuvre de solidarité et mettions notre point d’honneur anarchiste à défendre tout autant, sinon mieux, les non-anars que les nôtres.
Autre exemple d’intervention, outre les multiples constitutions de dossiers, un appel anonyme d’une ville basque : « L’employé de la gare routière de telle ville est un flic espagnol. » Et l’information suivait son bonhomme de chemin jusqu’aux intéressés...
Le cas le plus fréquent était l’application d’une certaine « règle du jeu » par les autorités françaises, qui concernait les militants antifranquistes espagnols arrêtés en France en situation irrégulière. Si un avocat se manifestait, il était remis dans la nature. Sinon, il était extradé. Nous intervenions dès que nous étions prévenus, les uns et les autres sachant comment nous contacter. Excepté l’ETA qui préférait, semble-t-il, voir ses militants extradés.
Le plus bel exemple de chaîne de solidarité nous fut donné lors de la répression policière touchant massivement le FRAP en 1975.
En plein week-end du 15 août, un militant du FRAP était arrêté à Paris et détenu à la préfecture. Tous nos avocats étaient absents de Paris.
Je fis part à Guy Le Bolzer, mon contact au Figaro, de notre problème. Cinq minutes plus tard, il m’annonça que la société des journalistes mettait à notre disposition son avocat. « Mais je vais voir si je ne trouve pas mieux », dit-il.
Une demi-heure plus tard, il rappela pour me dire que Jacques Charrier mettait à son tour son avocate à notre disposition. J’appelai celle-ci. Elle me dit qu’il y avait peut-être un problème car elle travaillait dans le cabinet d’Alfred Fabre-Luce qui n’était pas de notre bord. « Au contraire, dis-je. — Dans ce cas, reprit-elle, mon frère est inspecteur de police, si ça peut vous aider… » C’était la cerise sur le gâteau ! Le militant fut relâché dans l’heure et nous le prîmes en charge.
La leçon générale ? Ce n’est pas la théorie qui fit la grandeur de la CNT espagnole mais, pour paraphraser García Oliver, sa praxis, une adéquation fine entre la théorie et une pratique efficace…
Dans la conclusion de son texte, René Berthier a raison d’évoquer la possibilité d’une Alliance adaptée à la réalité de notre temps, en englobant plus largement le champ sociétal. À condition de tirer les leçons de nos carences passées qui nous menèrent soit à des défaites ou des échecs, soit à des impasses. Et, surtout, en étant animés par notre esprit libertaire antidogmatique et sans cesse critique.
La classe ouvrière espagnole, comme disait García Oliver, toujours, n’a pas choisi Marx ou Bakounine ou qui que ce soit d’autre en s’engageant à la CNTE, mais un outil efficace de lutte et d’émancipation, et toujours engagé le combat, quel qu’il soit, avec la volonté farouche de le gagner, donc en s’en donnant les conditions théoriques et pratiques…

Alain Pecunia – 30 octobre 2019

Perso : mon idée était de rassembler les anarchistes français sous la bannière anarchosyndicaliste, pour réunir les anars salariés ou étudiants afin d’écarter nos « parasites » habituels du milieu français. Ce n’était donc pas pour faire de l’ouvriérisme mais réunir des camarades sérieux.
En second lieu, puisque je me sentais plus espagnol que français, poursuivre dans mes objectifs interrompus par « l’accident », en faire une caisse de résonance pour les camarades de la CNT de l’intérieur en axant toute notre stratégie nationale et internationale sur la résurgence de la CNTE, une CNT digne de son passé, renouvelée et modernisée.
Notre premier contact avec Eugène avait été fructueux. Il allait quitter son poste car il était pour la rotation des mandats et il souhaitait nous ouvrir grandes les portes afin que nous constituions une tendance anarcho au sein de la CFDT, pour faire pièce au PS qui était en train de la prendre en main. Nous n’avons pas su saisir la main tendue car Toublet était dubitatif (« qu’ils fassent le premier pas »). Même après lui avoir expliqué que c’était au petit de faire le premier pas quand il voulait utiliser un géant et s’en servir de marchepied (tactique du PC dans sa prime jeunesse).
Eugène est parti, mais sa tendance Reconstruction, pro-anarcho, gardait en main la commission internationale, avec René Salanne comme secrétaire et Pierre Evain. Pierre était mon contact direct et nous gérions en franche camaraderie.
Tout de suite, ils furent intéressés par un contact direct avec la CNTE de l’intérieur (par la ASO, la CNT était réunie avec l’UGT, la STV basque et un syndicat chrétien catalan). La CFDT c’était l’USO, et la CFDT avait besoin de la CNTE pour la soutenir en Catalogne…
Mon contact avec l’Espagne était Carlos Moragues, de Montpellier. Il me transmettait les courriers du CR de Catalogne (un Ramón) et moi je lui envoyais le résultat de mes démarches avec la CFDT. Peu de gens étaient au courant car c’étaient des négos confidentielles.
À l’époque, il y avait trois CR en Catalogne, chacun accusant les deux autres d’être aux mains de la police. Mais comme je menais les négos et était leur traducteur quand ils rencontrèrent la CFDT à Paris, je contrôlais tout, et l’objectif était de remettre le résultat possible au premier congrès postfranquiste.
Le souhait de la CFDT, de moi et du CR était que la CNTE et la CFDT deviennent des syndicats « frères », autogestionnaires, au plan européen, et la CFDT se proposait de faire accepter l’adhésion de la CNTE à la CES – au cas où les camarades auraient souhaité sortir de leur magnifique isolationnisme.
Ce qui fut proposé au premier congrès ; et la réponse négative du congrès me fut transmise par Freddy Gomez (de ça, il peut t’informer et te préciser). Je crois me souvenir – mais je n’en suis pas sûr – que c’était au prétexte que la CES ne les intéressait pas et qu’il y avait l’AIT…
J’ai donc 49 lettres venant de Carlos Moragues ou de ses correspondants du CR. Certaines peuvent éclairer des choix à l’intérieur. Cela témoigne également d’autres choix libertaires.
À la réception de la réponse négative, Carlos Moragues s’est retiré de toute vie militante et n’a plus souhaité que nous soyons même en contact perso, tellement il était déçu.