Le PSOE (Pari socialiste) et UP (Unidas Podemos) ont tourné en rond pour terminer le travail de mémoire qu’ils ont traduit dans une nouvelle loi, appelée « Mémoire démocratique », qui, à notre avis, continue d’être insuffisante pour les victimes et les proches de la terreur franquiste.
La CGT a déjà présenté des contributions il y a quelques années, lorsqu’il est apparu que le gouvernement autoproclamé le plus progressiste de l’histoire de notre pays avait l’intention de modifier la loi existante à cet égard. Certaines de ces demandes ont été prises en compte, comme la création d’une banque d’ADN pour faciliter la localisation des restes des personnes réprimées et assassinées, la reconnaissance de « lieux de mémoire » ou la « déclaration d’intention » d’accès aux archives contenant des informations sur ces crimes à des fins d’enquête ; des archives et des documents qui, nous l’espérons, ne seront pas classés comme secrets, réservés ou tout autre subterfuge sémantico-juridique créé dans le but de cacher la vérité et de garantir l’impunité, et dont nous ne savons pas encore vraiment dans quelle mesure ils seront limités par des lois telles que la loi sur les « secrets officiels » de 1968, en attente de réforme, et, chose incroyable, en vigueur depuis l’époque franquiste. Le peu que nous savons de cette réforme est qu’elle vise à garder secrets les documents qui sont considérés comme secrets pour le public depuis 50 ans ou plus. Ils continueront donc à être considérés comme des secrets officiels, rendant impossible leur étude et leur connaissance, ce qui invaliderait les avancées laxistes et mal définies de cette loi sur la mémoire démocratique en termes de connaissance de la vérité, et les secrets de la dictature et de la transition continueraient à être « protégés ». C’est inacceptable.
Tant dans l’exposé des motifs que dans l’élaboration de la loi elle-même, à laquelle nous avons déjà accès pour l’analyser, l’État espagnol continue à faire preuve de lâcheté lorsqu’il s’agit d’aborder les faits tels qu’ils se sont produits, ainsi que les causes et les conséquences de la guerre civile, de la dictature et de la transition « modèle » vers l’actuel État de droit démocratique dans lequel, théoriquement, nous vivons.
La CGT considère que cette « nouvelle » loi sur la mémoire démocratique est insuffisante pour les raisons suivantes :
Période de référence
La loi couvre la période allant du coup d’État du 18 juillet 1936 à l’entrée en vigueur de la Constitution espagnole de 1978, et laisse de côté une grande partie de la période de la transition espagnole (1975-1982) au cours de laquelle des crimes et des montages politico-policiers ont eu lieu contre de nombreuses personnes, organisations et groupes qui continuaient à être la cible des fonctionnaires franquistes, étant donné qu’ils demeuraient institutionnalisés.
La CGT considère que, de 1975 à nos jours, l’extrême droite – héritière des putschistes et des assassins de 1936 – continue de promouvoir le discours de haine et d’agression fondé sur son idéologie, d’autant plus qu’elle est parvenue à occuper des sièges et à siéger dans des parlements et des gouvernements « démocratiques », dans lesquels elle ne condamne toujours pas le régime franquiste.
Origines de la guerre civile 1936-1939
La CGT regrette que l’on ne reconnaisse pas que le soulèvement de l’armée et le coup d’État qui s’en est suivi ont été soutenus par des complices, sans l’aide et la collaboration directe sans lesquels la victoire des rebelles fascistes n’aurait pas eu lieu. L’aristocratie, la noblesse, les banques, une partie de la bourgeoisie et l’Église catholique sont également responsables de la douleur, de la faim, de la mort, de l’exil, de la prison, de la purge de leur emploi, de la maladie, de la misère et de l’humiliation subies par des millions d’Espagnols pendant la guerre et les 40 années de dictature.
En outre, il n’est que juste de reconnaître le laxisme du gouvernement de la deuxième République dans les premiers instants qui ont suivi le soulèvement fasciste. Son refus de remettre les armes à la classe ouvrière organisée, et au peuple en général qui se préparait à lancer la révolution sociale, a été décisif.
En ce sens, nous considérons que l’exaltation dans cette norme de l’étape politique et historique correspondant à la deuxième République espagnole (1931-1936) est exagérée si l’on tient compte du fait que pendant ces années, le pouvoir a également été exercé pour réprimer les revendications de la classe ouvrière. Les principales victimes du gouvernement républicain étaient précisément les anarchistes qui, plus tard, ont lutté du côté républicain contre le fascisme et pour le triomphe de la révolution sociale, mais jamais pour l’idéal incarné par un État républicain. En fait, la Seconde République espagnole a toujours été, dès sa proclamation, un État bourgeois. Il n’y a pas eu de « gouvernement rouge » à Madrid et la seule réponse organisée à l’avancée du fascisme est venue du mouvement ouvrier anarchiste. La CGT n’oublie pas que la « République », c’est aussi le sang des travailleurs : Fígols en 1932, Casas Viejas en 1933 ou Asturies et Catalunya en 1934.
Exemples de luttes
La loi, dans l’exposé des motifs, se réfère aux luttes pour la liberté des étapes historiques précédentes, en donnant comme exemple la Constitution libérale de 1812 (Cadix). La CGT considère que cette constitution bourgeoise, conçue et réalisée par et pour la bourgeoisie, pour les gens d’une certaine classe sociale et qui a oublié la majorité sociale, ne peut être un exemple ou être comparée à la bataille qui a été menée par la classe ouvrière pendant les trois années qu’a duré la lutte après le coup d’État.
L’« intouchable » loi d’amnistie de 1977
La réforme politique d’Adolfo Suárez du 17 octobre 1977 et de ceux qui sont devenus « démocrates » du jour au lendemain, a été un pacte de silence qui a profité – et continue de profiter – aux complices et aux bourreaux de la guerre civile, de la dictature et de la transition. Cette loi, dont les conséquences se poursuivent encore aujourd’hui avec des situations comme celles dénoncées par la Coordination étatique de la plainte argentine (CEAQUA) dans des cas comme celui de Rodolfo Martín Villa et d’autres criminels qui, pour la honte d’un pays qui se définit comme démocratique, continuent à se servir dans le trésor public. Un pays qui a protégé les criminels et les institutions qui les ont encouragés, permettant à nombre d’entre eux de mourir en paix sans avoir à répondre de leurs crimes.
Cette loi visait la « réconciliation sociale » entre les Espagnols et avait pour but d’amorcer une transition vers un régime démocratique. Maintenir cette loi en vigueur aujourd’hui, c’est empêcher que les crimes contre l’humanité soient jugés selon les traités internationaux signés par l’État espagnol dans le domaine des Droits de l’homme. La CGT rappelle que ces crimes et abus ont été perpétrés par le camp victorieux contre des personnes totalement sans défense et émotionnellement déprimées, qui ne pouvaient ni les affronter, ni répondre, ni se défendre à armes égales.
En outre, bien que la justice soit censée interpréter cette loi sur la base du droit international, ce n’est pas le cas dans la pratique, comme nous l’avons vu avec les anciens fonctionnaires de la monarchie et les tortionnaires connus : Antonio González Pacheco, connu sous le nom de Billy el Niño, Roberto Conesa, Manuel Gómez Sandoval, Jesús González Reglero, Miguel Ángel Reglero, José Ignacio Giralte González et les fonctionnaires responsables de la torture et de l’assassinat de l’anarchiste Agustín Rueda Sierra dans la prison de Carabanchel en 1978. La liste de ces criminels est longue.
Nombre d’entre eux ont été décorés par le premier gouvernement de la monarchie démocratique et ont reçu des décorations et des prix du trésor public, qui ont été maintenus jusqu’à aujourd’hui. Les répercussions des actions de ces éléments et de leurs collaborateurs, dirigées, coordonnées et exécutées par des organes de l’État et des fonctionnaires de la monarchie, ont directement visé des personnes et des organisations démocratiques légalisées après la mort du dictateur, en particulier le mouvement libertaire espagnol et l’organisation anarcho-syndicaliste CNT. Ces actions visant à détruire les organisations démocratiques n’ont été reconnues ni réparées par aucun des gouvernements responsables de la monarchie qui se sont succédé de 1978 à nos jours.
Discours de réconciliation
La nouvelle loi sur la mémoire démocratique vise également à promouvoir un « discours commun », fondé sur la défense de la paix, du pluralisme et la condamnation de toute forme de « totalitarisme politique ». S’il y a une chose que nous avons assumée dans notre organisation, c’est que nous ne partagerons jamais ni discours ni espaces avec les bourreaux et complices de la guerre civile, de la dictature franquiste, de la transition espagnole et de la démocratie actuelle.
Nos revendications en tant qu’organisation anarcho-syndicaliste, héritière de la CNT de 1910, incluent l’exigence que la vérité soit recherchée et connue, que justice soit faite, que les dommages causés aux victimes et à leurs familles soient réparés, et que des garanties soient établies pour la non-répétition de la terreur franquiste. Cela n’est pas incompatible avec le fait que chaque personne, dans sa liberté individuelle, peut décider de pardonner ou non à ceux qui, pendant plus de 40 ans, se sont consacrés à l’assassinat, aux représailles, à l’humiliation et à la disparition d’êtres humains.
La notion de « victime » n’est pas séparée de celle de « bourreau ». Certaines victimes font l’objet de discriminations.
Dans le nouveau règlement élaboré par le gouvernement PSOE-UP, le concept de « victime » est énoncé à l’article 3, incluant « toutes les victimes de la guerre ». La CGT considère que toutes les personnes qui ont perdu la vie pendant la guerre civile ne peuvent bénéficier d’une telle considération. Les fascistes se sont élevés contre un gouvernement légitime et ont imposé par la force leur idéal de nation, de religion, de morale, d’éducation, etc.
La CGT affirme que le maintien dans l’ordre juridique de l’article 10 de la loi précédente qui discriminait les victimes de la répression franquiste sur la base du fait qu’elles avaient été exécutées avant ou après le 1er janvier 1968 est un « non-sens » politique et moral infâme. Cette discrimination, en plus d’être infâme pour diviser les victimes de la répression franquiste et indemniser certaines treize fois plus que d’autres sur la base d’une date arbitrairement choisie, est également infâme pour « justifier » cette infamie sur la base des « circonstances exceptionnelles qui ont concouru à leur mort » et pour être mortes « pour la défense et la revendication des libertés et des droits démocratiques ».
Comment peut-on prétendre que « les circonstances exceptionnelles qui ont concouru à leur mort » ne s’appliquent qu’à ceux qui sont morts après le 1er janvier 1968, et que tous ne sont pas morts « pour la défense et la revendication des droits et des libertés démocratiques » ? Comment peut-on considérer que le communiste Julián Grimau et les anarchistes Francisco Granado et Joaquín Delgado exécutés en 1963 et tant d’autres militants politiques et syndicaux exécutés avant le 1er janvier 1968 (parmi lesquels le cénétiste Joan Peiró, le président Companys et le socialiste Julián Basteiro) ne sont pas morts « pour la défense de la démocratie » ?
Francisco Granado et Joaquín Delgado
La CGT demande : Pourquoi les amendements d’Unidas Podemos et de l’ERC (Gauche républicaine catalane) n’ont-ils pas été inclus dans la nouvelle loi proposant un article avec une réparation unique pour tous les bénéficiaires de ceux qui sont morts ou disparus à cause de la répression franquiste, aux mains de fonctionnaires de l’État ou d’organisations paramilitaires, jusqu’en 1982 ?
Titre préliminaire : Objet et finalité de la loi
La nouvelle loi entend adopter des mesures complémentaires visant à éliminer les éléments de division entre les citoyens et à promouvoir les liens d’union. La CGT s’interroge : quels liens d’union peuvent exister entre les descendants de ces putschistes assassins, qui occupent des postes dans les parlements et les institutions « démocratiques » (armée, garde civile, police nationale, etc.) ? Il est clair que ces institutions publiques continuent de réaliser et de soutenir, en plein milieu de l’année 2022, des actes d’hommage et d’exaltation du franquisme et de ses figures les plus représentatives. Pour la CGT, si ces événements restent d’actualité, c’est parce qu’il n’y a pas de condamnation totale de la part de ces institutions. Tant qu’il n’en sera pas ainsi, il n’y aura pas de base pour un dialogue social possible.
Collaboration entre les administrations publiques
Dans son article 16, la nouvelle loi énonce l’intention d’adopter des mesures visant à garantir l’échange d’informations et l’action conjointe dans la gestion de l’élaboration et de la mise à jour des cartes des tombes et du registre des victimes. Pour la CGT, cela ne se fera pas facilement, surtout lorsque le gouvernement d’une communauté autonome est contrôlé par l’extrême droite, comme c’est déjà le cas dans certains territoires de l’État espagnol.
Un droit à la justice tronqué
Elle n’apportera pas le changement espéré par les victimes, les proches et les organisations mémorielles qui attendent depuis tant d’années une véritable justice, des réparations et des garanties de non-répétition, et qui n’ont pas été consultés lors de l’élaboration de cette réforme.
La loi d’amnistie n’est abrogée ni en totalité ni en partie, et l’application et l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité antérieurs à 2004, date à laquelle ils ont été inclus dans le code pénal espagnol, ne sont pas explicitement incluses.
Il existe une nette différence de traitement par rapport à d’autres groupes de victimes de violences qui ont été reconnues, ont obtenu réparation et ont eu pleinement accès à la justice. Ce ne sera pas le cas. Outre la reconnaissance de l’illégalité et de la nullité des tribunaux putschistes et de leurs sentences, la formulation de l’article 5.4 empêchera de facto une véritable réparation, en ne permettant pas d’engager la responsabilité financière de l’État, en vidant de son contenu le concept même de justice, et en favorisant la destruction des preuves de milliers de crimes commis par le régime franquiste en empêchant la judiciarisation des procédures.
Le droit à une protection judiciaire effective des personnes ayant subi de graves violations des droits de l’homme sous le régime franquiste n’est pas non plus garanti, pas plus que l’annulation du pillage financier ou la compensation ou l’indemnisation d’un quelconque préjudice. La seule chose qui est garantie, c’est l’impunité pour tous ces crimes.
La CGT continuera à lutter jusqu’à ce que toutes les victimes du franquisme obtiennent la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition, ainsi que la reconnaissance qu’elles méritent.
Confédération générale du travail-CGT