Le Conseil des ministres a approuvé le mercredi 21 décembre le décret-loi relatif à la nouvelle réforme du travail convenu entre le gouvernement du PSOE (Parti socialiste) et de Unidas Podemos, le patronat et les bureaucraties des CCOO (Commissions ouvrières) et de l’UGT (Union générale des travailleurs) à la veille de Noël. Le gouvernement socialiste n’abroge pas la loi existante, mais maintient l’essentiel de la réforme du travail de 2012 du PP (Parti populaire de droite).
« C’est l’un des jours les plus importants de cette législature ». C’est par ces mots que la deuxième vice-présidente et ministre de l’Emploi, la communiste Yolanda Díaz, a présenté la réforme du travail convenu avec le patronat et les syndicats « majoritaires » lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil des ministres : « Avec cette réforme du travail, nous tournons la page de la précarité en Espagne. Elle met fin au grand déficit de l’Espagne, qui fait notre différence dans l’Union européenne. Nous avons enfin mis fin à ce que j’ai appelé la grande anomalie espagnole ».
L’imposture des appareils de Unidas Podemos et du PSOE est capitale. Car ce qui est certain – et largement vérifiable – c’est qu’il n’y a pas eu d’abrogation de la réforme du travail de 2012 approuvée par le PP. Loin d’éliminer cette législation anti-ouvrière, le projet de Yolanda Díaz, convenu avec la CEOE (Confédération espagnole des organisations d’entreprises), CEPYME (Confédération des petites et moyennes entreprises, CCCOO et UGT la veille de Noël, en préserve les lignes essentielles. Nous résumons ci-dessous les points clés qui expliquent pourquoi.
Les licenciements restent pratiquement gratuits et bon marché
Le décret-loi ne modifie pas la généralisation du licenciement abusif avec 33 jours d’indemnisation par année travaillée et avec un maximum de 24 paiements mensuels. Il s’agit d’une réduction de 45 jours et de 42 paiements mensuels qui a commencé avec la réforme du travail du PSOE en 2010. En outre, ni les salaires de transformation (l’entreprise paie les salaires entre la date du licenciement et le jugement qui reconnaît le caractère abusif du licenciement) ne sont récupérés, ni les causes que l’employeur peut invoquer pour justifier un licenciement objectif (équitable) ne sont éliminées, ce qui permet aux entreprises de continuer à licencier les travailleurs avec 20 jours d’indemnisation et un maximum de 12 mensualités.
Les causes de la précarité ne sont pas combattues
Les mécanismes de dénonciation unilatérale des conventions collectives en matière de salaires, d’horaires ou de conditions de travail, qui existaient déjà grâce à la collaboration entre l’entreprise et la bureaucratie syndicale, sont toujours en place. Il n’est pas non plus mis fin à la sous-traitance ; seules les filiales sont tenues de respecter la convention de l’entreprise ou du secteur où elles ont été embauchées et non la convention d’origine. Comme on le sait, l’entreprise peut contourner ce problème en profitant des catégories professionnelles inférieures. En outre, les travailleurs resteront en dehors du choix et de la représentation des syndicats dans les lieux où ils travaillent.
Les licenciements collectifs se poursuivront
Les licenciements se poursuivront comme si de rien n’était, malgré le retour du contrôle administratif par l’autorité du travail. Les entreprises pourront invoquer des « causes économiques, techniques, organisationnelles ou de production », de la même manière que pour le licenciement objectif.
Prévalence de l’accord d’entreprise
Bien que l’activité des conventions collectives soit rétablie, la mesure n’est pas rétroactive et est donc limitée. En outre, la récupération de la prévalence de l’accord de rang supérieur n’a pas été approuvée. Elle ne s’applique qu’aux salaires, afin que le salaire minimum fixé par le secteur ou le rang territorial supérieur soit respecté. Mais en ce qui concerne les horaires de travail, la durée du travail, la compensation des heures supplémentaires et d’autres conditions, l’accord d’entreprise continue de prévaloir.
Le drame de l’emploi temporaire continuera
Les contrats temporaires auront une durée maximale de 6 mois et nécessiteront une justification du motif et de la durée. La nouveauté est que la réforme réduit la période de titularisation d’un travailleur de 24 à 18 mois sur une période de 2 ans. Toutefois, cela ne les empêche pas de faire tourner les travailleurs temporaires pour éviter cela ou de ne pas le faire et de les mettre dans une situation d’abus du travail temporaire. En outre, des exceptions sont établies, comme dans le secteur de la construction, où le mécanisme suivant est proposé : les contrats dont l’objet ou les services dont l’objet et le résultat sont liés aux travaux de construction seront considérés comme des contrats permanents attachés à l’ouvrage. À la fin des travaux, l’entreprise doit faire une proposition de réemploi au travailleur, après une formation aux frais de l’entreprise et si possible de la Fondation du travail de la construction [1]. Si le travailleur refuse le réemploi, s’il n’est pas considéré comme qualifié pour le poste, s’il est considéré qu’il y a un excès de travailleurs ou qu’il n’y a pas de poste correspondant à son profil, son contrat sera résilié sans indemnité.
Le mécanisme RED prolonge la logique des ERTE
Le mécanisme RED [2] permettra aux entreprises de demander des réductions du temps de travail ou des suspensions de contrat en échange d’une offre de formation pour le recyclage ou le reclassement de leurs employés dans d’autres entreprises ou secteurs. Cette aide peut être demandée tant en cas de besoins spécifiques dus à une forme de crise que pour des secteurs entiers en cours de liquidation ou de reconversion. Il s’agit d’une évolution et d’une perpétuation des ERTE [3] qui ont permis aux entreprises de réaliser de gros profits pendant la pandémie et qui n’ont pas empêché les licenciements massifs par la suite. Les entreprises pourront mettre en œuvre ces ERTE en cas de « crise » pour une durée maximale d’un an et avec des exonérations de 20 à 60 %, ou en cas de « restructuration sectorielle » pour un an extensible à deux ans et avec une exonération de 20 %. La prestation RED sera de 70 % de la base réglementaire pour toute la période, de laquelle sera déduite la part de la cotisation de sécurité sociale du travailleur, et ne consommera pas de chômage.
Embauche fixe-discontinue pour donner des avantages aux entreprises
Pour les entreprises qui ont une rotation élevée de contrats temporaires, au lieu de les obliger à les rendre permanents, la réforme leur offre la possibilité de contrats permanents-discontinus. De cette façon, dans les périodes où l’activité de l’entreprise est réduite, c’est l’État qui paiera leurs salaires, c’est-à-dire les travailleurs eux-mêmes, qui paient des impôts.
Aucune limite n’est fixée au pourcentage de contrats temporaires dans l’entreprise
Les plans de réduction de l’emploi temporaire, ainsi que les taux maximaux d’emploi temporaire dans la main-d’œuvre et les conséquences du non-respect de ces plans, ne sont pas réglementés et n’impliquent aucune imposition des abus des entreprises, mais dépendront des négociations des conventions collectives. En d’autres termes, ils laissent ce domaine aux bons offices des bureaucraties syndicales.
Les ressources de l’inspection du travail ne sont pas renforcées
Une grande partie des améliorations supposées que cette réforme introduirait dépend essentiellement de l’intervention de l’autorité du travail et de l’imposition d’amendes aux entreprises qui violent systématiquement les droits des travailleurs. Cependant, les mesures de Yolanda Díaz n’introduisent pas davantage de ressources pour soutenir l’inspection, mais se concentrent sur l’octroi de plus d’argent aux entreprises, de sorte que tout soupçon d’amélioration reste lettre morte.
La nouvelle réforme « progressiste » du travail doit être confrontée à la lutte des classes
Le nouveau règlement, comme il est évident, ne représente aucune sorte d’abrogation de la réforme du travail de 2012, mais est une nouvelle réforme de droite, qui maintient l’essence du schéma de précarité, de super-exploitation et de licenciements massifs institué par les précédentes réformes du PP et du PSOE. Seulement, dans ce cas, il est présenté dans un emballage « progressiste ».
Le pacte entre le gouvernement PSOE-UP, les patrons et les bureaucraties syndicales est une nouvelle escroquerie à laquelle il faut répondre par un syndicalisme combatifs.
Malgré le discours excessif du gouvernement, en particulier de son « aile gauche » dirigée par la ministre du travail Yolanda Díaz, la nouvelle règle préserve les pires conditions de travail imposées par le capitalisme espagnol au cours des deux dernières décennies.
Dans un contexte croissant d’une résistance ouvrière, les travailleurs en lutte dénoncent la précarité et le despotisme des patrons qui, avec le gouvernement et avec la complicité de la bureaucratie syndicale, veulent les appauvrir encore plus.
Le gouvernement « progressiste » s’est entendu avec les patrons et les bureaucraties syndicales pour une nouvelle réforme du travail qui laisse intact les aspects les plus néfastes des précédentes réformes et qui constitue une nouvelle carte blanche pour les patrons. Pendant ce temps, ces derniers mois, une augmentation drastique des prix érode le niveau de vie de larges secteurs de la classe ouvrière. Rien qu’en novembre, l’IPC (Indice des prix à la consommation) a dépassé 5,5 % et l’Espagne est sur le point de terminer l’année avec le taux d’inflation le plus élevé de ces 30 dernières années.
Dans cette situation, il s’agit désormais de faire payer aux travailleurs les conséquences de la crise pandémique afin que les entreprises puissent continuer à dégager des marges bénéficiaires toujours plus importantes.
À l’heure où les salaires de la majorité de la population ne couvrent pas le coût réel de la vie, les grandes entreprises continuent de réaliser d’énormes bénéfices. Alors que le coût des produits de base augmentait jusqu’à 5,5 % de plus pour les familles, les entreprises de l’IBEX35 engrangeaient 3 % de bénéfices supplémentaires (données d’octobre).
Nous avons assisté à une résurgence des luttes ouvrières au cours des dernières semaines. Depuis la grève emblématique du secteur métallurgique de Cadix, les travailleurs du nettoyage de la même province et ceux de Castellón, les travailleurs socio-sanitaires de la SAD qui ont campé devant le ministère du Travail, les travailleurs d’Inditex, les travailleurs de Pilkington, les travailleurs des conserveries de Bizkaia et bien d’autres luttes qui, avec plus ou moins d’intensité, ont ramené la classe ouvrière dans les grands débats médiatiques ces dernières semaines.
Face à cette nouvelle vague de luttes réclamant leurs droits, l’actuel gouvernement PSOE-UP a montré de quel côté il se situe. Pour beaucoup de ces travailleurs, le ministre du travail communiste, la police nationale et toute l’équipe gouvernementale se trouvaient de l’autre côté de la tranchée pour tenter d’écraser leurs revendications. Dans le cas de la grève exemplaire des métallurgistes à Cadix ou de la grève de Tubacex, les travailleurs ont du faire face à la violence et à la répression déclenchées par la coalition gouvernementale.
La conclusion fondamentale est simple : ce n’est pas des bureaux ministériels des néo-réformistes qui ont pactisé avec l’IBEX35 (le CAC40 espagnol) et la CEOE (le MEDEF espagnol) que viendront les améliorations des conditions de vie de la classe ouvrière. Le seul moyen qui peut vraiment tordre le bras des patrons est la lutte des classes.
Francisco Abadía
Traduction : Daniel Pinós