La « ley mordaza » (la loi-bâillon) du Parti populaire a six ans, malgré l’abrogation promise par Pedro Sánchez et le Parti socialiste
La « loi bâillon » est controversée, celle-là même que le Parti populaire a fait passer seul en 2015, et que le Parti socialiste et ses partenaires s’étaient engagés à éliminer, est toujours en vigueur et intacte. En cours de route, cette loi a laissé des centaines de milliers de personnes sanctionnées - son application est montée en flèche pendant la pandémie - tandis que les forces de sécurité de l’État conservent un pouvoir sans précédent sur les citoyens en démocratie.
En fait, il est plus exact de dire « lois bâillons », au pluriel. Il y a six ans aujourd’hui, la loi organique pour la protection et la sécurité du citoyen (LOPSC) entrait en vigueur, limitant sévèrement les droits de réunion, de manifestation et de protestation, ainsi que la vie privée des citoyens. Le même jour, une réforme du code pénal est également entrée en vigueur, qui a supprimé les délits (ils sont devenus des infractions administratives punissables sans l’intervention d’un juge), renforcé les peines pour les délits de piraterie, et redéfini et étendu les délits d’atteinte et de trouble à l’ordre public.
La série de cas controversés liés à ces mesures répressives comprend, parmi les plus graves, la persécution ou même la condamnation pour terrorisme de tweeteurs (Cassandra, Arkaitz Terrón... ), de marionnettistes, de journalistes et de chanteurs (César Strawberry, La Insurgencia, Valtonik, Pablo Hasél...), des activités qu’il est difficile de relier à des actes violents. La justice a dû clarifier et délimiter les peines à maintes reprises, mais pas toujours en faveur des persécutés.
Cette fièvre s’étend aux amendes. Depuis le 1er juillet 2015, les citoyens s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 600 000 euros sur la base de l’appréciation personnelle d’un policier ou d’un garde civil, dont le témoignage a pleine valeur probante « jusqu’à preuve du contraire » (art. 52 de la LOPSC), et qui ne peut être photographié ou filmé en vue d’une publication ultérieure (art. 36.23 de la même loi, infraction grave). Cette mesure a même été appliquée aux journalistes.
Tout citoyen s’expose également à des amendes administratives - qui ne peuvent faire l’objet que d’un recours devant les tribunaux - s’il manifeste, se rassemble ou s’assemble dans un lieu public sans autorisation, s’il ne présente pas immédiatement sa carte d’identité à la demande d’un agent (même s’il n’explique pas le motif de cette demande) ou encore s’il fait l’objet d’un manque de respect, selon les critères de l’agent de police ou du garde offensé.
Pour donner un exemple récent, le journal Levante-EMV a publié cette semaine le cas d’un homme de 69 ans qui a été condamné à une amende à Valence pour avoir ri d’une photo d’un vélo de la police locale sur laquelle on pouvait lire « Policía loca » (Police folle », car il manquait la lettre « l » sur l’autocollant.
Cette amende pour une infraction mineure (jusqu’à 600 euros) n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des sanctions imposées pour non-respect des « lois bâillons » au cours de ces six années. En d’autres termes, « ne riez pas ».
Réforme bloquée
Il semble y avoir un certain consensus sur la modification de certains aspects de la loi sur la sécurité des citoyens, comme l’assouplissement des restrictions sur les manifestations pacifiques qui n’ont pas été signalées auparavant, la clarification des cas d’identification et de fouille corporelle par les agents de police, ou la réduction du montant des amendes. Mais ce qui est déjà certain, c’est que la loi ne sera pas abrogée, mais que les articles les plus controversés seront modifiés.
Comme le rapportait le journal El País, le principal obstacle aux négociations concerne les renvois immédiats des migrants, que le ministère de l’Intérieur veut maintenir face à l’opposition d’Unidas Podemos, le partenaire du gouvernement de Pedro Sánchez.
En tout état de cause, la loi a reçu le soutien de la Cour constitutionnelle, sauf sur certains aspects tels que l’interdiction générale de l’utilisation « non autorisée » d’images d’agents dans la rue, ce qui pourrait constituer une censure préalable. Et il y a d’autres cas controversés qui franchissent la ligne des droits fondamentaux, comme le « coup de pied dans la porte » sans ordre judiciaire préalable, à la suite de l’action entreprise par des policiers pour arrêter une fête légale le 21 mars à Madrid, en alléguant le crime de désobéissance.
Les chiffres les plus récents dont nous disposons sont ceux fournis par le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, devant le Congrès des députés il y a plus d’un an : les amendes appliquées aux personnes pour le seul fait d’avoir contourné les restrictions de mobilité pendant les trois mois du premier confinement général du Covid pendant l’état d’alarme se sont élevées à 1,1 millions d’amendes proposées et à près de 9 000 arrestations.
Pour replacer cela dans le contexte des données publiques existantes, entre le 1er juillet 2015 et le 31 décembre 2019, presque le même nombre d’amendes a été émis (1 009 729) pour un montant total de 563,3 millions d’euros. Les données du portail des statistiques criminelles sont dépassées précisément depuis le début de la pandémie, mais l’exemple ci-dessus indique l’énorme augmentation de l’application de cette réglementation unique.
Sa réforme a été initiée au Congrès à deux reprises. La dernière est tombée en raison des élections anticipées du 28 avril 2020, au moment même où il y avait un accord de principe sur un texte présenté par le Parti nationaliste basque. Aujourd’hui, en pleine pandémie de covid et alors que nous venons de sortir d’une crise migratoire majeure à Ceuta, certains de ses préceptes, comme le régime de sanction pour désobéissance ou les renvois immédiats évoqués plus haut, pourraient prendre racine.
Au cours de ces six années, des organisations internationales, des associations de défense des droits civils et des citoyens de toute sorte ont insisté sur les « lois bâillons » (et les interprétations extensives des crimes de haine, des crimes contre la Couronne ou contre les sentiments religieux) comme des exemples clairs de réglementations répressives et disproportionnées.
En attendant, tous ces préceptes restent en vigueur, alors n’oubliez pas : « Ne riez pas ».
Pablo Romero
Traduction : Daniel Pinós