Serge Utgé-Royo. D’amour et de révolte

lundi 11 octobre 2021, par Pascual

Faut-il encore présenter, dans le Monde libertaire, Serge Utgé-Royo ? Auteur-compositeur-interprète, le répertoire personnel de ce fils de deux exils, celui d’un anarchiste catalan et celui d’une socialiste de Castille, est riche et très évocateur ? Il aura été, durant près de 40 ans de carrière, à travers une multitude de galas et de concerts, le porte-voix de plusieurs générations de libertaires. Sa voix, chaude et puissante, nous entraîne dans une fraternité de révolte. Doté d’une grande sensibilité, notre poète anarchiste n’hésite pas à dénoncer les horreurs et les injustices tout en rêvant à un monde enfin libre et pacifié.

J’ai connu sa voix dans les années 1970, par l’intermédiaire d’un vinyle que le temps et les progrès technologiques ont rendu matériellement démodé, mais je le garde comme un trésor inestimable à l’heure où le vinyle refait sa réapparition dans les bacs des disquaires. Dans ces années d’oppression sur nos terres en Espagne, ce disque apportait au jeune fils d’exilés que j’étais le rayonnement sonore de la meilleure poésie et la voix de Serge me semblait être le véhicule par excellence de la fraternité humaine. Aujourd’hui encore, je m’abandonne au plaisir du moment et au souvenir de cette découverte inoubliable.
Quand il chante en hommage à la mémoire des républicains espagnols, ces hommes et ces femmes qui ont subi les tourments, les humiliations, les mauvais traitements dans les camps de concentration, la voix de Serge apaise l’écho de leurs souffrances, en ouvrant des chemins de fraternité dans l’esprit de ceux qui l’écoutent.
Serge Utgé-Royo ne pousse pas seulement un cri de révolte contre le bâillon qu’impose le pouvoir aux artistes, il n’est pas seulement un anticonformiste qui se déclare incompatible avec cette civilisation de l’argent et du privilège, mais sa lutte contre l’autoritarisme se double d’une interprétation pleine d’un amour fervent pour les poètes.
Serge, en plus de chanter ses propres chansons, se livre à un exercice qui a un caractère plus collectif, il incorpore dans sa musique et sa voix les poètes contemporains : Léo Ferré, Boris Vian, Jacques Brel, Luis Llach, Victor Jara, Violetta Parra. Il s’identifie à eux avec véhémence pour défendre la liberté, mais aussi de manière très émouvante, avec tendresse, avec amitié, avec dignité, avec la passion que l’on trouve chez les poètes.
Depuis ses débuts, Serge Utgé-Royo est ouvert à différentes manifestations de l’art. D’abord pour le théâtre où il a été comédien dans des mises en scènes de Med Hondo et Armand Gatti notamment, pour la littérature ensuite, à travers plusieurs romans et plusieurs participations à des œuvres collectives.
Serge Utgé-Royo, vêtu d’un noir existentiel, se tient sur scène bien campé tel un marin au long cours, prêt à naviguer sur l’océan des mots des poètes en catalan, en castillan et en français. La voix de Serge conserve de façon très pure une sonorité brute et rituelle, elle est présente dans chaque poème pour se transformer en une prière musicale vivante. Comme les paroles d’un griot, les vers sont tantôt canonnés par la colère du résistant, tantôt, ils s’écoulent comme le cours calme d’un ruisseau. Il nous reste les mots des grands poètes. Il nous reste la passion de Serge Utgé-Royo et son courage.

Serge est un anticonformiste ouvert sur le monde. Un être profondément humain qui pratique constamment la provocation, la critique directe contre les ennemis de l’émancipation individuelle et sociale. Pour Serge Utgé-Royo, un artiste doit être libre de défendre ses idées, pour lui, à la première concession, vous perdez une partie de votre liberté. C’est un coureur de fond dans les domaines de la sensibilité et de l’engagement, qui, par sa rébellion, nous encourage à garder notre conscience éveillée.

Sous la forme d’un trio musical, Serge Utgé-Royo, Léo Nissim et Jean My Truong, compagnons de musique et de scène, croisent leurs histoires et mêlent leurs racines d’exils, leurs mots et leurs notes, leurs souvenirs et leurs influences, hispaniques, latines, orientales, leurs inspirations aux accents et aux rythmes jazz ou blues, latinos ou classiques, traditionnels ou contemporains.
Le double album du « Trio Utgé-Royo au Triton » est paru. Des chansons récentes créées par le trio (La longue mémoire, Comme un coquelicot la révolte…), d’autres plus anciennes revisitées par Serge pour le texte (Tout le sang du monde) et par le trio pour l’orchestration (Juillet 1936, Il a tant plu…), quelques reprises signées Brel, Vian, Ferré, Vidalie-Golmann. Et les voix mêlées des spectateurs qui ont pu rejoindre le trio au Triton, en cette hiver 2020 sans Covid, reprenant avec Serge Amis, dessous la cendre.

Le double album « Trio Utgé-Royo au Triton » est disponible chez Publico et sur commande.
Dans une pochette cartonnée 3 volets, 2 CD, 23 chansons, 1 h 40 de musique et de mots, un livret de 40 pages. Production Édito Musiques – Noir coquelicot – Prix TTC : 18 €

https://www.utgeroyo.com

Daniel Pinós

Cet article a été publié dans un numéro spécial du Monde libertaire, de l’été 2021, intitulé « Chanson et anarchie ».

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