La justice belge refuse l’extradition du rappeur catalan Valtónyc

mercredi 29 décembre 2021, par Pascual

La justice belge a refusé mardi l’extradition du rappeur catalan Valtónyc, condamné dans son pays pour « apologie du terrorisme » dans ses chansons et réfugié en Belgique depuis 2018, une victoire « pour la liberté d’expression » selon ses avocats.

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La Cour d’appel de Gand (nord-ouest) a décidé que l’artiste, qui chante en catalan, ne devait pas être extradé vers l’Espagne, a indiqué le parquet. « C’est une victoire claire et nette », a confirmé l’avocat belge du chanteur, Me Simon Bekaert.
« Je suis libre, et plus seulement en liberté conditionnelle. J’ai fait de la musique quand j’avais 18 ans, je ne suis pas un terroriste et la justice m’a donné raison », a réagi Valtónyc, de son vrai nom José Miguel Arenas Beltran, à la sortie de l’audience.
« Il existe des standards européens des droits (à la liberté d’expression). L’Espagne, ce n’est pas que la fête et les plages, c’est aussi le taux d’artistes en prison », s’est-il insurgé.
Valtónyc s’était exilé en Belgique après confirmation de sa condamnation en Espagne à trois ans et demi de prison pour « apologie du terrorisme », « injures à la Couronne » et « menaces » dans ses chansons.
« Qu’ils aient peur comme un garde civil au Pays Basque » ou bien « le roi a un rendez-vous sur la place du village une corde autour du cou », dit par exemple le rappeur originaire de Majorque, dans des textes de 2012 et 2013.
Pour la justice espagnole, ces paroles font l’apologie « incontestable » des indépendantistes basques de l’ETA, organisation armée ayant ensanglanté l’Espagne jusqu’en 2011 et classée comme terroriste par l’Union européenne.
Depuis mai 2018, Valtónyc est visé par un mandat d’arrêt européen, émis par la justice espagnole. La même année, un tribunal de Gand avait rejeté l’exécution du mandat estimant que les faits n’étaient pas constitutifs d’un délit en Belgique, mais le ministère public avait fait appel. Trois ans et demi de prison, c’est la peine qui attend le rappeur espagnol Valtónyc.
La justice reproche à Josep Miquel Arenas Beltran, 24 ans, vendeur de fruits et légumes à Palma de Majorque (îles Baléares), de s’être livré dans ses textes en catalan à une « apologie du terrorisme », à des « menaces » et à des « injures à la couronne ».

« Humiliation » des victimes

Le cas Valtónyc agite l’Espagne. Ses défenseurs mettent en avant la liberté d’expression garantie par la Constitution, même s’ils ne partagent pas ses louanges répétées à l’ETA et au Grapo (Groupe de résistance antifasciste du 1er octobre), deux formations terroristes qui ont abandonné la lutte armée. La puissante association des victimes du terrorisme (AVT, proche du Parti populaire de droite), n’a pas réagi sur le sujet mais a rappelé mercredi sa doctrine : la sévérité des sanctions dans les cas d’apologie du terrorisme est justifiée par la protection des victimes, survivantes ou familles des morts, « humiliées » par des expressions publiques favorables aux groupes qui les ont pris pour cible.
Dans ses titres postés depuis 2012, le rappeur amateur multiplie les rimes avec « ammonal » et « goma-2 », les explosifs préférés des séparatistes basques. Il fait l’éloge des voitures piégées et des tirs dans la nuque, montrant une fascination pour les méthodes d’ETA bien plus que pour leur idéologie. Il appelle en outre au meurtre de ministres ou de Jorge Campos, dirigeant politique et chef de file des anticatalanistes des Baléares. Des propos extrêmes condamnables dans n’importe quelle démocratie. Ses attaques à la monarchie (et sa chanson Non au Bourbon, vidéo ci-dessus) ont été particulièrement disséquées par les juges, dans un pays où la figure du roi et son entourage sont intouchables.

Autres cas de répression

Loin de la moindre repentance, Valtónyc a joué la provocation jusqu’au bout. Après sa première condamnation, il lançait sur Twitter : « Si j’avais su j’aurais buté quelqu’un, j’aurais pris moins cher.
Le cas du Majorquin n’est pas isolé. D’autres musiciens de rap (La Insurgencia, Pablo Hasél) ou de rock (César Strawberry, du groupe galicien Def con Dos) ont eu maille à partir avec la justice, écopant souvent de lourdes amendes. L’Audience nationale fait régulièrement comparaître des auteurs de posts estimés pro-terroristes.
La plus médiatisée est Cassandra Vera, condamnée en mars 2017 à un an de prison pour avoir tweeté des plaisanteries sur l’attentat qui coûta la vie, en 1973, à un ministre de Franco, l’amiral Carrero Blanco. Des blagues connues de tous les Espagnols, répétées depuis des décennies. Si la peine n’a pas été exécutée, la vie de l’étudiante de 21 ans en a été bouleversée : privée de ses droits civiques pour sept ans et de sa bourse d’études, elle a dû renoncer à son projet professionnel, l’enseignement.
Tout aussi surréaliste : l’Audience nationale a jugé un jeune homme accusé d’avoir souhaité une résurrection du MPAIAC, mouvement indépendantiste de l’archipel des Canaries, qui posa plusieurs bombes (on lui attribue 1 mort) avant de disparaître en 1978.

Deux poids, deux mesures

Pour une partie de l’opinion espagnole, cette politique de tolérance zéro de la part de juges s’accompagne d’un laxisme choquant dans d’autres domaines. Témoigner de sympathie dans les réseaux sociaux pour des terroristes est puni plus sévèrement que tuer des personnes en conduisant ivre, que détourner à son profit des millions d’euros quand on a une charge publique, où qu’escroquer des clients par des clauses bancaires abusives.
Beaucoup soulignent aussi le traitement de faveur dont ont bénéficié les proches du roi mêlés à des scandales financiers. Le beau-frère du roi Felipe VI, lourdement condamné pour avoir monnayé ses relations privilégiées avec le palais, n’a pas connu une seule nuit en prison. Et son épouse l’infante Cristina a été blanchie du soupçon de complicité. Le couple réside aujourd’hui en Suisse. Les frasques de l’ancien roi lui-même n’ont pas eu de suites judiciaires, comme les pots de vin de 100 000 euros versés au Bourbon par l’Arabie Saoudite lors de l’achat par ce pays de l’AVE (le TGV espagnol) ou la chasse à l’éléphant au Botswana en 2012, coûteuse et pitoyable tartarinade qui déboucha sur son abdication en faveur de son fils.
En signe de solidarité avec Valtónyc, plusieurs festivals de Catalogne ont invité le musicien à participer à leur édition. C’est notamment le cas de Primavera Sound. Dans le cas où le rappeur se retrouverait derrière les barreaux, plusieurs groupes se sont engagés à reprendre sur scène ses refrains polémiques. Mais cette mobilisation reste circonscrite à la Catalogne, le reste de l’Etat espagnol se contentant de condamnations de principe.

Amnesty intervient

L’affaire Valtónyc et ses répercussions interviennent dans un contexte très défavorable pour les libertés publiques en Espagne, où la droite au pouvoir a fait voter en 2014 une « loi de sécurité citoyenne », rebaptisée loi bâillon, qui criminalise des expressions de protestation pacifiques : les sit-in, les rassemblements à proximité du Congrès des députés ou du Sénat, s’opposer à une expulsion ou filmer un membre des forces de l’ordre dans l’exercice de ses fonctions. Amnesty international, en rendant public son rapport annuel, a épinglé le recours excessif à « l’apologie du terrorisme » de la justice espagnole. 
Depuis juin 2018, les socialistes sont au pouvoir. Ils s ’étaient engagés lors de leur élection à abroger la « loi de sécurité citoyenne ». Près de quatre ans plus tard, elle n’est toujours pas abroger et elle permet de réprimer les mouvements sociaux, comme la grève des métallurgistes de Cadix où de nombreux ouvriers ont été réprimés.
« Des dizaines de personnes ont été poursuivies [après avoir] exprimé des opinions qui ne s’apparentaient pas à une incitation à commettre des infractions liées au terrorisme et qui étaient conformes aux formes d’expression autorisées par le droit international relatif aux droits humains », dénonce Amnesty.

Aurelio Monzón Martín