José Faran est né en 1912 à Lérida, petit village catalan à une centaine de kilomètres de Barcelone. Comme beaucoup d’espagnols de cette génération, sa vie a été marquée par la situation politico-sociale de l’Espagne d’avant 1939, puis par l’exil en France.
« Dans mon village, explique José dans un mélange de français, de castillan et de catalan un peu difficile à comprendre, on était peu instruit mais, dans les années 1920, des militants ouvriers de la CNT venaient régulièrement à pied des villes les plus proches pour animer des conférences. Ils organisaient aussi des cours d’alphabétisation. Ils nous distribuaient des brochures et des journaux en nous expliquant qu’il fallait lire si on voulait changer la société. Ces militants ont joué un rôle très important dans les zones rurales. Souvent ils risquaient leur vie car c’était l’époque du dictateur Primo de Rivera et il n’était pas rare que des militants syndicalistes se fassent assassiner en pleine rue par les hommes de main du gouvernement et du patronat ».
En 1936, José a 24 ans. « Depuis la victoire de la gauche aux élections du 16 février, raconte-t-il, on savait que l’Armée, aidée par la droite et par l’Église, préparait un coup d’État. Un jour du mois de juillet, quelqu’un est venu au village pour nous dire que ce coup d’État avait eu lieu, que le gouvernement républicain était complètement dépassé par la situation mais que les syndicats ouvriers avaient pris d’assaut les casernes et que le pouvoir appartenait désormais au peuple. Le soir, j’ai récupéré les quatre postes de radio qu’il y avait au village et je les ai mis au balcon du café pour que tout le monde puisse entendre les informations. À partir de ce moment-là et pendant plusieurs jours, on n’est plus rentré à la maison. On dormait dans le café, on se sentait mobilisé ».
Peu après, José participe à la création d’une collectivité agraire autogérée dans laquelle il travaille à la fois comme paysan et comme forgeron. « On avait réquisitionné les terres des gens qui étaient partis parce qu’ils soutenaient Franco. On les cultivait et on avait créé un restaurant collectif. Tout était bien organisé. Sur la place du village, on avait mis un pot où les gens venaient mettre leur argent car, comme tout était gratuit, on n’en avait plus besoin. On avait fait de la collectivité un grand jardin. Si on avait trop de nourriture, on la donnait à ceux qui en avaient moins. On avait la sensation qu’on était dans une société nouvelle ».
Mais les militaires, les monarchistes et les fascistes n’avaient pas dit leur dernier mot. Après un coup d’arrêt, ils reprennent leur offensive. « Nous, ce qu’on voulait, explique José, c’était des armes pour nous défendre. Mais le gouvernement républicain n’en avait pas beaucoup. Et lorsque la France nous en envoyait parfois, elles arrivaient le plus souvent chez Franco. Concernant les brigades internationales, on était très méfiant. L’Espagne anti-franquiste n’avait pas besoin de combattants ; elle en avait suffisamment ! Et puis, ces brigades étaient souvent aux ordres de Staline et du Kominterm. Alors, on refusait qu’elles viennent militariser et contrôler notre lutte ! ». Quant à la politique de non intervention prônée par les démocraties occidentales, rien d’étonnant pour lui : « Les travailleurs espagnols savaient ce qu’ils voulaient. Tout cela était très clair, notamment depuis le congrès de Saragosse. Notre but était le communisme libertaire et nous avions commencé à l’expérimenter avec succès. De plus, avec plus d’un million et demi d’adhérents, la CNT représentait une force considérable et incontournable. Alors, les démocraties bourgeoises n’avaient aucun intérêt à nous voir gagner la guerre. Au contraire, nous représentions un danger pour elles ».
En septembre 1939, José est obligé de fuir son village devant l’avancée des troupes franquistes. Il arrive en France et connaît les camps d’internement du gouvernement français. Ensuite, il est placé dans un chantier de travail, d’abord à Tarascon puis dans les Alpes où il creuse des tunnels. « Au début, les français avaient peur de nous, raconte-il, car la propagande franquiste disait qu’on était des bandits et qu’on violait les religieuses ».
En 1943, José rejoint l’un de ses frères à Lille. Il n’a pas de papiers et est obligé de vivre dans la clandestinité. Il vit de petits boulots. Un jour, alors qu’il travaille à remettre en état un bâtiment bombardé près du pont de Thumesnil, il rencontre Irène, une jeune fille qui dans ce même bombardement vient de perdre ses parents et sa maison. Un peu plus tard, Irène deviendra sa femme…
Après la guerre, José travaille comme soudeur dans différentes entreprises de la région lilloise. Membre de la CNT espagnole en exil, il sera – avec son éternel chapeau sur la tête (seule exception : la photo ci-dessous !) – de toutes les manifestations, de toutes les conférences-débats et de beaucoup d’actions ; une présence discrète mais revigorante car pleine de joie de vivre, d’optimisme et de ténacité.
Éric Dussart