Migrants à Ceuta. Déclin vers la barbarie

mercredi 26 janvier 2022, par Pascual

LES DIVISIONS ENTRE CLASSES ET NATION SONT À L’ORIGINE DU DÉCLIN VERS LA BARBARIE

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Le dernier épisode d’un long feuilleton se déroule actuellement sur les écrans de télévision. Dans l’enclave espagnole de Ceuta, à l’extrême nord du Maroc, des personnes désespérées, prêtent à sacrifier tout ce qu’elles ont, tentent de trouver une nouvelle vie. Ce qui a ajouté une dimension supplémentaire au drame, c’est l’accueil réservé par l’armée espagnole à l’afflux de réfugiés, avec des images de passages à tabac apparaissant dans les médias. Ces scènes sont survenues un jour seulement après que des corps de migrants se soient échoués sur la côte de Ceuta. Il apparaît également que les autorités espagnoles ignorent les procédures légales de traitement des migrants.

« L’Espagne a envoyé des troupes à la frontière de l’enclave et a déjà refoulé des milliers de personnes, mais des associations affirment que les fonctionnaires pourraient expulser des personnes qui devraient légalement être traitées comme des demandeurs d’asile, notamment les enfants, les personnes malades ou toute personne qui n’est pas de nationalité marocaine. » democracynow.org

Des vidéos montrent que les troupes espagnoles jettent des réfugiés à la mer et que des réfugiés sont rassemblés et détenus, dans des conditions épouvantables, dans des entrepôts [1]. Des milliers de réfugiés, rassemblés et expulsés, se sont vus refuser les droits juridiques, déjà maigres, qu’ils sont censés avoir. Les déportations sommaires ne sont autorisées que pour ceux qui sont détenus à la barrière frontalière séparant le Maroc de l’Espagne. Il y a déjà eu au moins un décès par noyade.

Une réception brutale

La cause immédiate du désespoir des migrants, ainsi que l’accueil brutal et la chasse aux « illégaux » qui en résulte et qui fait elle-même partie d’une expulsion illégale, tourne autour d’un conflit tripartite entre le Maroc, l’Espagne et le Front Polisario. Ce dernier tire son nom de l’abréviation espagnole du Front populaire de libération de Saguía el Hamra et de Río de Oro, un mouvement de libération nationale qui cherche à prendre le contrôle du Sahara occidental. Un territoire qui avait été contrôlé par l’Espagne, la Mauritanie, puis, à partir de 2021, est passé sous domination marocaine [2]. Le Maroc s’est opposé au traitement réservé par l’Espagne au leader du Front Polisario Brahim Ghali pour Covid-19. Cela a amené le Maroc à réduire sa surveillance de la frontière entre le Maroc et Ceuta et les migrants à se raccrocher à tout ce qu’il pouvait.
Nous avons ici un microcosme de la réalité mondiale actuelle du capitalisme en crise. Sa victime est toujours le dépossédé, celui qui n’a rien d’autre à perdre que ses chaînes. Ils ont été réduits à des actes de désespoir par le manque de perspectives offertes par un mode de production contraint de s’attaquer aux plus vulnérables afin de maintenir sa rentabilité. Contre eux, les forces de la violence organisée, armée et police, déchaînent toujours une violence barbare. Aujourd’hui, l’accent est mis sur Ceuta, mais une histoire similaire pourrait être écrite à propos de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, où, une fois de plus, les désespérés risquent leur vie pour échapper à l’impasse économique, désormais exacerbée par le Covid et la catastrophe climatique de l’Amérique latine. À Ceuta, nous voyons des images d’enfants, dont un bébé qui, selon la Guardia Civil qui l’a secouru, « devait être très petit, car il n’était pas capable de soutenir son cou », risquant ainsi de se noyer et de connaître un avenir inconnu. Aux États-Unis, nous voyons des enfants jetés par-dessus un mur de 15 pieds de haut par des passeurs présumés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, au Nouveau-Mexique. [3] Dans les deux cas, on nous parle des conditions épouvantables dans les centres/entrepôts de détention pour enfants et adultes.

Un gouvernement au service des dominants

En Espagne, le gouvernement est formé par une coalition prétendument « progressiste », le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et Unidas Podemos, qui prétend offrir aux Espagnols une démocratie réelle. Mais dans le contexte d’une longue crise capitaliste dans laquelle la rentabilité est exigée, attaque après attaque contre les conditions de vie du prolétariat, la gauche du capitalisme révèle sa faillite totale et son vrai caractère de fidèle serviteur de la classe dominante qui n’a rien pour apaiser la classe ouvrière. En déchaînant l’armée et la police, en emprisonnant dans des camps des milliers de personnes, en les maltraitant et en les expulsant illégalement, nous constatons une nouvelle fois que tout régime capitaliste est une dictature de la classe dominante et qu’il n’y a pas de différence essentielle entre les parlementaires et les fascistes qui servent l’élite capitaliste. Ils sont tous également capables de faire tout ce qu’il faut pour maintenir la domination de la classe des privilégiés.
Nous pouvons également mentionner le fait que l’Union européenne s’est solidement rangée du côté de l’Espagne. Il n’y a pas de moindre mal dans le capitalisme. La rhétorique peut varier, mais les ailes gauche et droite du capitalisme servent le même objectif : la perpétuation de l’exploitation de la classe ouvrière, le maintien de la machine étatique et la guerre constante, par toutes les méthodes jugées nécessaires, avec des bandes capitalistes rivales dans le monde entier. La victime à Ceuta, à la frontière américano-mexicaine, et même dans le monde entier, est la personne dépossédée, au premier rang de laquelle se trouve la classe ouvrière.

Socialisme ou barbarie

Un autre jour, un autre désastre. Aujourd’hui, les désespérés risquent tout pour échapper à des conditions d’existence insupportables, demain... Quoi ? Guerre impérialiste ? Catastrophe climatique ? Extinction humaine ? Aujourd’hui, l’humanité semble prise dans l’étau d’un système non-durable construit sur les divisions de classe et de nation. Les conditions de vie et de travail ne cessent de s’éroder, sans espoir de jours meilleurs tant que le système, le système capitaliste, reste en place. La crise se déroule peut-être sur tous les fronts, mais la trajectoire vers la destruction n’est pas inévitable.
Aussi sombre que soit la réalité, ce mastodonte peut être arrêté. Une fois de plus, nous approchons d’un carrefour historique. D’une part, comme l’illustrent les événements de Ceuta, une horreur parmi d’autres, nous semblons sombrer dans la barbarie. Un conflit à grande échelle se profile entre les puissances capitalistes, avec la majorité exploitée prise entre deux feux. D’autre part, nous pouvons rejeter le chant des sirènes de toutes les factions capitalistes, de gauche à droite, et nous unir en tant que classe pour enterrer un système malade qui a depuis longtemps épuisé tout progressisme et qui n’offre rien d’autre que plus de misère. Pour que la raison l’emporte, nous devons aller à la racine du problème. Nous devons rejeter le capitalisme avec ses divisions de classes et national. Le socialisme ou la barbarie, c’est l’alternative historique à laquelle nous sommes tous confrontés.

Ante
Extraits d’un article publié sur le site libertaire Libértame (Libère-moi)
https://libertamen.wordpress.com

Traduction : Daniel Pinós


[1Un officier de police déployé à Ceuta, qui s’est entretenu avec El País sous couvert d’anonymat, a dénoncé les conditions horribles endurées par les enfants dans l’entrepôt. « Je suis aussi un père de famille », a-t-il dit, soulignant que beaucoup sont restés plus de 15 heures sans manger. « Certains étaient diabétiques, je les ai trouvés évanouis, littéralement. J’avais quelques noix sur moi et nous avons dû leur donner nous-mêmes à manger et à boire. » wsws.org

[2En toile de fond, les manœuvres impérialistes des grandes puissances « ... L’administration Trump a reconnu en décembre la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – en échange de la normalisation des liens du Maroc avec Israël... L’Espagne ne reconnaît pas la république créée par le Polisario ni les revendications du Maroc sur le Sahara occidental. Un projet des Nations unies visant à organiser un référendum d’autodétermination sur le territoire est bloqué depuis des décennies ». Financial Times

[3bbc.co.uk