Le procureur général de l’État, Dolores Delgado, poursuivit pour « négligence dans sa fonction » par rapport aux délits fiscaux commis par le roi Juan Carlos I
De l’abdication au discrédit
L’ex-roi d’Espagne a décidé à 82 ans de quitter son pays pour s’installer en Arabie Saoudite, le monarque est soupçonné de corruption et se trouve aujourd’hui sous le coup d’une enquête de la Cour suprême espagnole.
Une enquête avait été ouverte pour définir si Juan Carlos avait une responsabilité pénale dans une affaire de corruption présumée. Cette affaire, c’est la construction du TGV de la Mecque par un consortium espagnol, pour l’Arabie Saoudite.
Selon une ancienne maîtresse du roi d’Espagne, ce dernier aurait reçu une commission sur ce contrat confirmée par la Tribune de Genève, Juan Carlos aurait touché, en 2008, 100 millions de dollars du roi Abdallah d’Arabie Saoudite, dont il est très proche.
Juan Carlos a abdiqué en 2014 en faveur de son fils Felipe, alors que la fin de son règne a été ternie par différents scandales, en particulier des soupçons sur sa fortune opaque, ainsi que des affaires judiciaires qui ont aussi impliqué sa famille, notamment sa fille et son gendre.
Des poursuites pénales contre Dolores Delgado, la procureur général de l’État
L’Assemblée républicaine de Vigo a annoncé qu’elle déposera une plainte contre la procureure générale de l’État, Dolores Delgado, et contre Carlos Gascón, le directeur général de l’Agence d’État de l’administration tributaire (AEAT). La plainte sera étayée par un cas présumé de prévarication et une « négligence dans leur fonction » de la part de Dolores Delgado et du directeur de l’AEAT en faveur du roi Juan Carlos I.
Pendant ces derniers mois, personne, ni l’Agence des impôts ni le bureau du Procureur, n’a notifié au roi que dans sa situation actuelle une enquête pouvait être déclenché contre sa personne. En d’autres termes, ils lui ont accordé le privilège de régulariser les montants fraudés afin d’éviter toute sanction pénale ou administrative, ce qui est bien sûr impensable pour tout autre citoyen.
C’est un acte par omission du devoir légal de la part de Dolores Delgado. Le roi a présenté une déclaration « sans demande préalable » d’un montant de 4 395 901,96 euros pour régler la dette fiscale qu’il devait au Trésor public. Cette somme correspond aux sommes dont le roi a bénéficié via la fondation Zagadka afin de payer ses vols privés. Cette fondation gérée depuis Genève payait les vols secrets de Juan Carlos. L’enquête sur l’argent de l’ex-roi d’Espagne révèle les millions versés pour des jets privés depuis deux banques suisses.
Trois enquêtes sur le roi Juan Carlos I ont été ouvertes. Les demandes de transparence de plusieurs groupes parlementaires à propos de la famille royale sont rejetées par le gouvernement et par le Conseil de la transparence depuis plusieurs mois, sous prétexte qu’il s’agit d’informations non soumises à la loi parce qu’il s’agit de propriétés « privées ou particulières ». Des données protégées auxquelles nous n’avons donc pas accès. Pourquoi ?
Les liens entre la couronne et le PSOE de Dolores Delgado
Ces liens existent depuis la mise en place du « pacte du silence » mis en place en 1977. Cet accord tacite avait été scellé par l’ensemble des partis politiques espagnols dans les années qui suivirent la mort de Franco afin de ne pas remettre en cause le passé.
En 1975, Franco avait, juste avant sa mort, désigné le roi Juan Carlos comme son successeur. Mais, après quarante ans de dictature, une grande partie de la classe politique avait compris que la libéralisation organisée du régime était le meilleur choix pour les intérêts de la bourgeoisie espagnole, qui comptait d’ailleurs intégrer la Communauté européenne.
Les forces politiques issues du franquisme, ralliées à une évolution vers un régime parlementaire, négocièrent avec les partis de gauche. Il fallait, disait-on, « oublier » pour assurer l’avenir. Effacer le passé et ses atrocités commises par l’État franquiste. La plupart des groupes parlementaires – dont le PSOE et le PCE – votèrent une loi d’amnistie qui constituait, selon eux, un instrument de « réconciliation nationale ». Elle visait en réalité à garantir la paix sociale pour la bourgeoisie à un moment où les mouvements sociaux embrasaient la péninsule ibérique.
La loi était destinée à instaurer l’impunité pour les actes de violence institutionnelle effectués sous la dictature. Elle interdisait de juger les crimes franquistes. Ce fut donc une sorte de « point final » sur ce passé qu’acceptèrent les dirigeants de gauche, le PSOE en tête, déjà prêts à faire allégeance à la monarchie intronisée par Franco.
Cette transition permit le passage sans dérapage d’une dictature à un régime parlementaire présentable, sans même que les dirigeants des principales institutions civiles et militaires héritées de la dictature et les tortionnaires soient écartés ou jugés. La gauche, au gouvernement ou pas, a continué à cautionner cette politique. En 2001 Felipe Gonzalez, l’ancien président socialiste du gouvernement espagnol, la justifiait en ces termes : « Nous avons décidé de ne pas parler du passé. Si c’était à refaire, (...) je le referais. »
Daniel Pinós