Vingt ans après un premier opus Black is Beltza, ce récit d’aventures et ce thriller politique raconte, sous la forme du voyage initiatique de son héroïne Ainhoa, la fin de la guerre froide et la répression policière face à une nouvelle génération d’activistes basques assoiffée de musique et de liberté.
Ainhoa est née par miracle à La Paz, en Bolivie, après que sa mère, Amanda, a été tuée lors d’une attaque d’un commando paramilitaire. Elle a grandi à Cuba et en 1988, à l’âge de 21 ans, elle entreprend un voyage initiatique au Pays basque afin de découvrir la terre de son père Manex.
Le premier opus, Black is Beltza, racontait les péripéties de jeunes militants basques découvrant, au cœur des années 60, la lutte des Black Panthers à New York puis entamant un grand périple à travers un monde en pleine ébullition anticolonialiste et révolutionnaire. Manex est le héros de cet opus. Parti à la découverte de New York, de la lutte pour les droits civiques et de la contre-culture, il était alors loin de s’imaginer que c’était le début pour lui d’un périple loin de son Pays basque natal, entre Cuba et Mexico, en passant par Alger et Montréal.
Il y croisa des militants de tous bords, des agents de la CIA, des femmes passionnées et révolutionnaires.
Entre voyage initiatique et odyssée libertaire, à la façon d’un Corto Maltés, Manex traversa le monde en ébullition marqué par la guerre froide et les mouvements de libération des peuples. La fin de cet opus laissait la possibilité d’imaginer une suite d’aventures pour son protagoniste, Manex, mélange de pirate et de justicier romantique. Mais ce n’est pas la suite de ses péripéties que l’on retrouve dans ce deuxième film d’animation, mais celles de sa fille : Ainhoa.
Le deuxième opus, Black is Beltza : Ainoha, démarre avec l’évasion rocambolesque de deux responsables de l’ETA lors d’un concert du groupe de rock basque Kortatu dans une prison de Pampelune. On retrouve les deux fugitifs quelques semaines plus tard à Cuba où nous découvrons notre héroïne, Ainhoa.
Au Pays basque, elle va faire connaissance avec les jeunes gens qui incarnent l’effervescence musicale et politique de la région, une nouvelle génération qui s’éveille au punk, à l’indépendantisme et à l’internationalisme. Parmi eux, elle découvre Josune, photographe du journal indépendantiste Egin, récemment emprisonnée et torturée en détention par la police. Lorsque le petit ami de Josune meurt d’une overdose d’héroïne, elle décide d’accompagner Ainhoa dans son voyage. Elles vivent alors une succession d’aventures à travers le monde, alors qu’en Espagne, l’héroïne empoisonne la jeunesse.
Black is Beltza : Ainhoa est ancré dans le Pays basque de la fin des années 80, alors que la jeunesse se révolte contre les politiciens corrompus et une police encore gangrenée par les nervis du franquisme. C’est un récit d’aventures géopolitiques qui mènera tambour battant ses protagonistes à Beyrouth, puis à Kaboul et enfin à Marseille où opérait la French Connection. Ce sont les dernières années de la guerre froide et Ainoha et Josune entrent dans le monde obscur des réseaux de trafic de drogue et de leurs liens étroits avec les complots politiques.
Les deux volets de Black is Beltza traitent de la question de l’héroïne au sein des mouvements sociaux et politiques. Les deux films dénoncent l’action démobilisatrice, promue par la police et le pouvoir politique, pour détruire les jeunes militants révolutionnaires.
À ce propos, un document intitulé Le rapport Navajas a été publié par le procureur général du tribunal provincial de Gipuzkoa en 1989. Il montre le lien qui existait entre le pouvoir policier, la sale guerre et le trafic de drogue, qui était à l’époque étroitement lié au gouvernement espagnol, ce qui a fait que deux ministres de l’Intérieur socialistes, Vera et Barrionuevo, sont allés en prison. L’un des outils de la sale guerre était le financement provenant de l’héroïne.
Le film questionne l’usage de la violence par les commandos de l’ETA. L’un des protagonistes affirme : « On ne lave pas le sang avec le sang ». À cette époque, pour beaucoup de militants refusant la spirale de violence, la paix et la coexistence passaient par la reconnaissance de l’injustice des crimes commis par l’ETA et des violations des droits humains. Ainhoa s’interroge aussi sur la nature du système cubain et dénonce le « machisme-léninisme » incarné par les dirigeants castristes depuis leur prise du pouvoir en 1959.
Dans un style graphique très années 80, tonique et contrasté, de l’illustratrice catalane Susanna Martín, Fermin Muguruza, à travers le périple de ses deux héroïnes, raconte à la fois l’incroyable vitalité de l’engagement de cette jeunesse, mais aussi, le rapport entre fiction et mémoire collective, l’autodéfense féministe et l’instinct de mort qui guette à travers le fléau de la drogue.
La bande originale du film met en évidence le lien profond entre la danse, la musique et les luttes sociales, elle illustre parfaitement les paroles d’Emma Goldman : « Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution ». À un rythme effréné, porté par une bande son très rock n’roll qui ravira les nostalgiques de l’époque, Black is Beltza : Ainoha réussit à nous faire vivre les soubresauts d’un monde en plein bouleversement, dans des aventures échevelées où se mêlent policiers, espions, trafiquants et militants révolutionnaires.
Le réalisateur et scénariste : Fermin Muguruza
Le premier film d’animation de Fermin Muguruza, Black is Beltza, a ouvert les portes une à une depuis sa première en septembre 2018, remportant des prix et de nombreuses reconnaissances internationales. Avec beaucoup d’efforts, d’enthousiasme et en affrontant la censure, comme l’artiste basque a toujours dû le faire.
Fermin Muguruza, le réalisateur et Sussana Martín, la graphiste
Nous devons évoquer le parcours étonnant de Fermin Muguruza. Il fut, à la tête de deux groupes musicaux, Kortatu et Negu Gorriak, créés avec son frère Iñigo, à qui le film est dédié. Fermin Muguruza a été, à partir du milieu des années 80, la figure du rock alternatif basque pendant 20 ans. Le succès de Kortatu dépassa rapidement les Pyrénées, Fermin a invité en première partie de ses concerts les petits jeunes de La Mano Negra.
Mais au-delà de la musique, Fermin Muguruza s’est affirmé comme une personnalité importante au Pays basque sud, y compris dans les discussions autour du processus de paix. Pas étonnant que Black is Beltza : Ainoha a eu droit à sa première mondiale à San Sebastian, devant 3 000 spectateurs enthousiastes.
Un strapontin pour deux
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Précision essentielle : il n’est pas du tout nécessaire d’avoir vu le premier Black is Beltza pour voir et apprécier Black is Beltza : Ainhoa.
Le trailer du film :