Une fosse commune découverte dans le cimetière de Belchite

mardi 26 octobre 2021, par Pascual

Une fosse commune contenant les restes de 150 civils assassinés au début de la guerre civile découverte dans le cimetière de Belchite

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L’article de Vicente G. Olaya ci-dessous est paru sur le site du journal espagnol « El País ». Il apporte une énième confirmation de l’horreur de la répression phalangiste. On sera en droit de douter quelque peu de l’affirmation de son auteur quant à l’indignation que le massacre dont il est question souleva jusque dans les rangs des troupes régulières franquistes.

La rivière Aguasvivas (eaux vives, en français) coule, sarcastiquement, tout près de l’endroit où se cachent les morts les plus cruelles. L’association Mariano Castillo Carrasco a promu l’ouverture des fosses communes concernant au moins 150 personnes fusillées dans le cimetière de Belchite (province de Saragosse) le 20 juillet 1936, entre 22 heures et minuit, par une centaine de membres locaux de la Phalange. L’horreur du massacre – on estime qu’il y a encore 200 autres corps au-delà des murs du cimetière – a fait que les troupes mêmes de Franco, lorsqu’elles ont repris la ville à la fin de la guerre, ont été choquées par des actes aussi inhumains. Les premiers squelettes retrouvés, à quelques centimètres de la surface, hommes et femmes confondus, sont tous sans chaussures et certains ont même les pieds liés et les mains attachées dans le dos. La plupart d’entre eux présentent des traces de balles dans le crâne. Aux côtés de leurs restes, on trouve de petits objets du quotidien tels que des boutons, des boucles et même un humble crayon. « Nous ne connaissons pas l’étendue de la fosse, mais les deux sondages que nous avons effectués [à une vingtaine de mètres de distance l’un de l’autre] révèlent à seulement quelques centimètres du sol les ossements des personnes exécutées. Les témoins de tout cela ont dit la vérité », déclare l’archéologue Gonzalo García Vegas, codirecteur des fouilles.
Deux jours après le coup d’État du 18 juillet 1936, les milices phalangistes entraient à Belchite, déposaient le maire de la ville, le socialiste Mariano Castillo, et arrêtaient sa femme et son fils. Castillo s’est suicidé dans la cellule où il était détenu, mais cette décision désespérée n’empêcha pas ses deux proches d’être fusillés sans pitié. Mais ils ne furent pas les dernières victimes innocentes.
Les républicains attaquèrent cette municipalité, qui comptait alors 3800 habitants, un an plus tard, en août 1937, dans leur tentative de s’approcher de la ville de Saragosse, ce qui entraîna de violents combats qui se terminèrent par la destruction totale de la ville. On lutta rue par rue, maison par maison, porte par porte. Il existe aujourd’hui un parcours appelé « traces de la guerre civile » qui montre les tranchées, les abris et les constructions militaires, tant d’attaque que de défense, de cette bataille qui a duré treize jours et s’est terminée par la prise de la ville par les républicains.
Dans l’un des combats, Constantino Lafoz Garcés, paysan de 35 ans et affilié à la Phalange le jour même de la prise de la ville, fut arrêté par les partisans de la République et interrogé le 7 septembre 1937. Sa déclaration, qui est conservée aux Archives générales de la guerre civile espagnole, à Salamanque, est d’une grande violence. Il affirme que quelque 200 personnes ont été abattues à l’intérieur du cimetière – et 200 autres à l’extérieur –, tous des civils, parmi lesquels il a lui-même tué 50 hommes et 5 femmes, comme le lui avaient ordonné les chefs de la Phalange. Lafoz a précisé que les troupes qui défendaient la ville comprenaient une centaine de phalangistes, 150 membres d’Acción Ciudadana et une centaine de requetés*. Leurs chefs s’appelaient Miguel Salas, Don Antonio et le requeté Narciso Garreta.
À la fin de la guerre, et après la destruction complète de la ville, le dictateur Francisco Franco a ordonné qu’elle reste en l’état et qu’une autre soit construite à proximité. Une chape de silence a ainsi recouvert la ville pendant la dictature. Les fonds du projet « Mémoire Démocratique » – avec des contributions du ministère de la Présidence, du secrétariat d’Etat à la Mémoire démocratique et du gouvernement d’Aragon – ont été utilisés pour que l’équipe composée de l’anthropologue et légiste Ignacio Lorenzo Lizalde, des archéologues Hugo Chautón, Gonzalo García Vegas, Sergio Ibarz, de la restauratrice Eva Sanmartín et d’un groupe de collaborateurs tente de récupérer les restes des personnes assassinées.
« Presque toutes les victimes du massacre étaient des habitants de Belchite ou d’un village voisin, explique le codirecteur des fouilles, Hugo Chautón. C’est pourquoi, sous la coordination d’Ignacio Lorenzo, des tests ADN vont être réalisés sur les restes exhumés, afin de les comparer avec l’ADN de leurs descendants et de les intégrer dans la base de données du gouvernement d’Aragon. De cette façon, nous pourrons déterminer qui est qui. »
La fouille archéologique en cours occupe environ 80 mètres carrés et est adjacente à la partie où se trouvent les niches murales, bien qu’il y en ait une plus petite à une vingtaine de mètres. En ouvrant la terre, on a trouvé une douzaine de corps – à moins de cinquante centimètres de profondeur –, dont certains sont coincés par les briques du mur de niches, bâti bien après le massacre. On ne sait pas si sous ces corps entremêlés s’en trouvent d’autres, mais ce n’est pas exclu.
L’une des dépouilles, celle d’un homme de plus de 1,80 mètre, a été retrouvée face contre terre, les pieds liés et les mains liés attachées derrière le dos. «  Il est possible, explique García Vegas, qu’en raison de sa grande corpulence il ait résisté davantage et qu’ils l’aient attaché avant de le tuer. Ils l’ont jeté dans la tombe sans ménagement  ».

Et qui étaient-ils ? Le témoignage de Constantino Lafoz ne laisse aucune place au doute. Il donne les noms et surnoms des victimes et raconte qu’ils ont abattu, par groupes de 20 personnes, les frères Sargantanas, Hojalatero, Listero, Alpargatero, les Sopas, Carruela, Simón Pedro Juan et sa fille, la Pascualota et les Muñecas… Avant cela, selon Lafoz, ils étaient torturés « pour les faire parler ».
En 1940, Franco a décidé de ne pas reconstruire la ville dévastée de Belchite en signe de reconnaissance du courage de ses défenseurs. Plus de 2000 soldats franquistes sont morts sur les 7000 qui résistaient dans la ville, et quelque 2500 assaillants républicains ont péri dans une armée de quelque 25000 soldats. Le nombre d’habitants de la ville est passé d’environ 3800 avant la guerre à moins de la moitié. « Je vous jure que sur ces ruines de Belchite une belle et vaste cité sera construite en hommage à votre héroïsme sans pareil  », déclara le dictateur. Ce qu’il a oublié, cependant, c’est de mentionner que sous la terre du cimetière, ainsi qu’au-delà de ses murs, les restes de centaines d’innocents étaient ignominieusement cachés, tout près de la rivière Aguasvivas.

Vicente G. Olaya


* Requetés : ce mot désigne les membres du corps de volontaires carlistes combattant dans le camp franquiste.

Traduction : Floréal Melgar.
Source : https://elpais.com/espana/2021-10-25/hallada-la-fosa-comun-de-150-civiles-asesinados-en-belchite-dos-dias-despues-de-estallar-la-guerra-civil.html

Photos : Carlos Gil-Roig