Notes de lecture sur "Colonne" d’Adrien Bosc

dimanche 16 janvier 2022, par Pascual

Quelques notes de lecture sur "Colonne" d’Adrien Bosc, Stock 2022.

Un roman (mal) rapiécé sur la colonne Durruti

Sur les cent-soixante pages de texte de ce roman, on constate qu’environ les trois quarts sont composées de citations – en italiques ou pas – du « Journal d’Espagne » et de plusieurs articles de Simone Weil, de sa lettre à Georges Bernanos en entier (et des écrits de ce dernier), de larges extraits du livre de Simone Pétrement, d’extraits de textes de Charles Ridel/Louis Mercier, de passages recopiés et modifiés de façon malheureuse de l’article « Le petit phalangiste » de Phil Casoar et d’Ariel Camacho, de passages de et sur Mohamed Saïl, du témoignage de Marianne Enckell…
Autrement dit, si l’on enlève tout cela, il ne reste pas grand chose de l’écrit proprement dit du « romancier » sinon des habillages, des articulations et des considérations sans apport particulier.

Nous ajoutons que Colonne contient des passages (mal) recopiés des « Souvenirs de la guerre d’Espagne » du milicien Antoine Gimenez/Bruno Salvadori, et de l’appareil critique des Giménologues, publiés en deux volumes de près de mille pages sous le titre Les fils de la nuit (Libertalia, 2016). Cet ouvrage est consacré à l’histoire du Groupe International de la colonne Durruti, et aux multiples vicissitudes de la vie des miliciens volontaires sur le front d’Aragon.
Pour autant, dans les notes et crédits de Colonne, Les Fils de la nuit est signalé sans nom d’auteur, ni d’éditeur…
Libre à Adrien Bosc de ne faire apparaître Antoine Gimenez qu’une fois [page 56, passage tiré de Les Fils de la nuit, 2016 p. 66], qui plus est de manière anecdotique, alors que l’on doit à cet anarchiste italien l’un des témoignages les plus riches rédigés sur des hommes et des femmes venus en Espagne participer à la révolution sociale, sur le front comme à l’arrière.
Certes un romancier dispose d’une certaine licence dans les emprunts qu’il fait à d’autres écrits, mais encore faudrait-il ne pas les trafiquer, par ignorance ou mauvaise prose. En un mot, la « rigueur historique » d’Adrien Bosc – saluée par certains – laisse beaucoup à désirer.

Nous avons procédé au pointage des erreurs ou approximations historiques contenues dans Colonne. Beaucoup auraient pu être évitées avec un peu de soin…

Dès le début, une grossière erreur donne le ton : « En août 1936, au début de la guerre d’Espagne, la philosophe Simone Weil, âgée de vingt-sept ans, rallie les Brigades internationales au sein de la colonne Durruti sur le front d’Aragon. »
Or, le groupe international de la colonne Durruti était composé d’hommes et de femmes, souvent des libertaires, venus de divers pays de leur propre chef, et les « brigades internationales » n’existaient pas encore dans l’été 1936. Elles se constituèrent en octobre comme un régiment militaire sous l’égide de Staline et du komintern, dans le cadre d’une stratégie contre-révolutionnaire et de prise de contrôle de la guerre contre les nacionales. Improbable que Simone Weil, notoirement anti-stalinienne, s’y soit engagée par la suite !

p. 21 « la gare de Paris » pour la estación de Francia
p. 22 « les partis CNT-FAI-POUM » : seul le POUM était un parti
p. 30 : Description aléatoire du physique de Ridel et Carpentier : Bosc dépeint Ridel comme un « grand gaillard » alors que cent pages plus loin, publiant l’avis de recherche de la police après le braquage de Champigny, il donne sa vraie taille : « 1m65 environ ». Et c’est Carpentier qui faisait une tête de plus que Ridel, pas l’inverse.
p. 36 : Bosc évoque un arrêt à Sitges de Simone Weil (avant Lérida, en route vers le front pour rejoindre la colonne Durruti) qui n’est mentionné nulle part, que l’on sache. Dans sa lettre à Bernanos Simone Weil écrit :

"Un accident m’a fait abréger par force mon séjour en Espagne. J’ai été quelques jours à Barcelone ; puis en pleine campagne aragonaise, au bord de l’Ebre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l’endroit même où récemment les troupes de Yagüe ont passé l’Ebre ; puis dans le palace de Sitgès transformé en hôpital ; puis de nouveau à Barcelone ; en tout à peu près deux mois."

C’est donc après son passage dans la colonne Durruti et sa blessure survenue à Pina de Ebro que Simone Weil réside à Sitges.

p. 39 : « Marthe, une Française en ménage avec Pierre, celui qu’on avait baptisé Odéon. »
Pierre Odéon (de son vrai nom Pierre Perrin*) n’était pas un milicien du Groupe International tout en en étant très proche ; il assurait les transports de personnes et de ravitaillement entre Paris, Barcelone et le front tenu par les colonnes Durruti et Ortiz.
Paul Thalmann dit Pavel ne sera dans la colonne qu’en janvier .
p. 40 : « Ça tombait bien, on cherchait des hommes pour prendre Pina, village sur l’Èbre »
Pina de Ebro est déjà prise le 8 août 1936 ; il s’agissait pour le Groupe International de prendre la gare de l’autre côté du fleuve.

p. 40 « Et c’était quelque peu ahuris qu’ils étaient arrivés dans ce coin paumé de l’Aragon, encore portés par l’élan de l’insurrection de juillet. » :
Ce sont les volontaires étrangers les « ahuris » ici ? (ou Adrien Bosc ?)

p. 42 : « Dans El Frente, le bulletin quotidien que Durruti imprimait depuis la ligne de front, il [Berthomieu] avait eu droit à sa bobine » : première nouvelle !
Au début, El Frente était un bulletin purement typographique, sans illustrations.
La photo de Berthomieu à laquelle Bosc fait allusion est forcément celle que Phil Casoar avait prise directement sur la pellicule d’un des films d’Adrien Porchet réalisé pour la CNT à l’automne 1936 : Los Aguiluchos de la FAI. C’est la seule photo connue de Louis Berthomieu, et elle figure dans Les Fils de la nuit (2016, p. 67).

p. 44 : On note plusieurs propos sur Berthomieu qui aurait combattu dans Barcelone

le 19 juillet 36 : ils sont tirés d’où ?

p. 45 : « Le groupe seconderait de la sorte l’effort de la colonne des Italiens d’Ascaso » :
La colonne Italienne est bien loin de là, devant Huesca et ne commence à combattre que fin août 36.

p. 57 : « Lors du dernier rassemblement, dans un soupir, il [Hans] avait glissé à l’un des camarades après qu’elle [Simone Weil] eut discuté les ordres, Seigneur, délivrez-nous des souris ! » :
Ici Bosc attribue le propos de Berthomieu [voir le rectificatif de Phil Casoar dans son relevé ci-dessous] à l’encontre de Simone Weil à Hans [de son vrai nom Hermann Gierth].
Par ailleurs Bosc décrit « Hans » ainsi :
« Hans s’était révélé plus salaud qu’il ne l’était, plus peureux aussi ».
C’est assez moche la façon dont ce romancier psychologise à bon compte des personnages ayant existé, et dont nous avons essayé de retracer le parcours sans fioritures : pour celui de « Hans » – Hermann Gierth, rescapé d’Auschwitz en 1945 – voir la page 678 de notre livre.

p. 61 « Georgette et Madeleine, les deux brigadistes infirmières, nettoyèrent sa brûlure à l’alcool alors qu’elle était évanouie. » :
Georgette Kokoczynski dite Mimosa n’arrivera dans la colonne Durruti qu’en octobre… Mais il est vrai qu’Antoine Gimenez (p. 68 de notre livre ) parle d’elle et de Simone comme si elles étaient au même moment dans la colonne. Voir nos divers articles sur Mimosa sur notre site, dont le dernier ici : http://gimenologues.org/spip.php?article898

p. 89 : « Ils lui donnèrent des nouvelles du front et des brigadistes, de Saïl et de La Calle, de Berthomieu »

p. 126 : « Déjà lourdement touchés par l’offensive sur Siétamo, les brigadistes à l’assaut »

« Deux cent quarante combattants engagés, cent soixante-dix morts cet après-midi-là » : Bosc n’a pas bien lu notre livre ma foi ; mais il peut se rattraper en consultant nos articles les plus récents sur la bataille de Perdiguera : http://gimenologues.org/spip.php?article955

p. 143 Carlo Mann [au lieu de Carlo Manni]

p. 145 : « 26 juin 1942, à Brazzaville, un volontaire chilien s’engageait dans les Forces françaises libres, sous le nom de Louis Mercier-Vega. La trentaine bien entamée » :
Mercier était né en 1914.

* Sur Pierre Odéon : >https://maitron.fr/spip.php?{{article153758]

Les curieux pourront consulter ici les prolongements que avons voulu apporter à la discussion sur la violence révolutionnaire que la lettre de Simone Weil à Georges Bernanos a suscitée :
http://gimenologues.org/spip.php?ar...
http://gimenologues.org/spip.php?ar...
http://gimenologues.org/spip.php?ar...

« Le jeu des 7 erreurs ! » par Phil Casoar :

« Seigneur, délivrez-nous des souris ! », s’exclame selon Bosc (p. 57), Hans, un des Allemands du GI, à propos de Simone.
Dans sa biographie de S. Weil, Simone Pétrement attribue la phrase à « un de ses camarades », sans plus de précision, mais l’unique témoin encore vivant de l’affaire était alors Carpentier, que Pétrement avait interviewé 5 ans avant moi. Et quand Carpentier m’a répété l’histoire, c’est bien de Berthomieu qu’il s’agissait…

Plus loin, (p. 59), Simone (qui savait à peine se servir de son mousqueton) armée d’un fusil-mitrailleur ! :
« Les avions désormais partis, Simone se faufila dans une autre tranchée, équipée d’un fusil-mitrailleur. Elle attendit ensevelie derrière ce monticule de terre, sorte de fanal de cimetière, puis, elle regagna le campement. »

Poids du mousqueton mauser espagnol : 3, 8 kg. Poids par exemple d’un des fusils mitrailleurs qui équipait l’armée espagnole en 1936, le FM Chatellerault, de fabrication française : 9, 1 kg (vide). (On ignorait que Simone était la fille cachée de Rambo !) Sur les images tournées sur place par le cinéaste suisse Porchet, on peut voir Charles Carpentier portant le fameux FM posé sur son épaule droite. Mais Carpentier était un sacré costaud ! En fait quand on relit le journal de Simone Weill, ça donne ça :
Me planque dans la hutte. On bombarde. Sors pour aller vers le fusil-mitrailleur. Louis dit : « Faut pas avoir peur (!) ». Me fait aller avec l’Allemand dans la cuisine, nos fusils à l’épaule.
C’est à dire qu’elle se dirige vers l’emplacement où ils ont mis en batterie un FM, point.

Bosc, pages 59 à 61 : A propos de la brûlure de Simone, voici un passage de mon manuscrit inédit des Moules-à-gaufres, entièrement écrit évidemment d’après le seul témoignage direct de Carpentier :

« Soudain, on entendit un grésillement accompagné d’un cri épouvantable...
Pour éviter que le feu signalât la position, on avait creusé dans la terre un trou qu’on avait rempli de braises. Une imposante poêle à frire, remplie d’huile bouillante, était posée dessus, juste au ras du sol. Et Simone, toujours aussi myope, avait mis le pied en plein dedans, se brûlant cruellement la jambe gauche. Le pied fut un peu protégé par l’espadrille, mais quand Carpentier lui ôta son bas, la peau du mollet vint avec.
Charlot demanda à Martinez d’emmener Simone Weil à l’infirmerie de Pina. Il la regarda partir en boitillant, non sans un certain soulagement : bien sûr, il était désolé pour elle, mais en un sens il valait mieux qu’elle soit hors de combat pour une broutille, plutôt que de l’avoir dans les pattes quand ça chaufferait vraiment.
(…)
L’après-midi s’écoula en reconnaissances diverses, à la recherche de gués pour se rapprocher de la gare et de la voie ferrée, qu’on envisageait de faire sauter.
Mais le soir, calamitas ! Qui donc était de retour, en compagnie des gars envoyés au ravito ? L’incorrigible Simone Weil traînant sa jambe pansée, souffrant le martyre, grelottant de fièvre et claquant des dents, mais prétendant mordicus reprendre son poste de combat.
Pour le coup, Carpentier se mit vraiment dans une rogne noire. Il recolla aussi sec Simone dans la barque, et lui fit retraverser l’Ebre à grands coups de rames. À Pina, il l’a ramena à l’infirmerie et demanda à parler au docteur :
— Écoutez, toubib, qu’est ce que c’est que cette histoire de fous ? »
— Ah, c’est elle qui ne veut rien entendre ! »
— Enfin quoi, vous êtes docteur, vous voyez bien qu’elle n’est pas en état de nous suivre dans cette aventure... Elle peut pas ramper à quatre pattes à travers champs avec sa jambe amochée. Elle est handicapée, et si elle reste, elle risque de nous handicaper nous aussi ! Il faut la faire évacuer sur Barcelone... »
En fait, le soi-disant médecin-chef était plus qu’improvisé : avant la guerre civile, il exerçait le métier de garçon coiffeur...
Le pansement qu’il avait bricolé à Simone ne couvrait même pas toute la blessure, et pour tout remède, il lui avait donné une purge. Simone finit par admettre que si elle voulait guérir, il valait mieux qu’elle aille se faire soigner à Barcelone.

P. 86, Bosc prétend que deux gars du G.I. ont participé à l’exécution d’Angel Caro :
« Le 24 août au matin. On fit l’appel. Deux des camarades espagnols du groupe avaient disparu. Berthomieu râlait. Une heure plus tard, ils arrivèrent assez contents, comme des noceurs. Ils se vantaient d’avoir participé à l’exécution d’un gamin. Ils avaient bu sur la place du village jusque tard dans la nuit avec les soldats de Tauste ».
On n’a rien découvert de tel au cours de notre enquête. A priori tous ses bourreaux étaient des gars de Tauste (et kézako, cette histoire de « soldats de Tauste » ?! ; il n’y avait pas de garnison à Tauste, ceux du village qui avaient rejoint les miliciens de Durruti étaient des civils, paysans, journaliers, etc).
Et dans son témoignage, à propos de la participation de membres du G.I. à un peloton d’exécution, Carpentier dit tout autre chose :

« Après la prise d’Osera, on est revenu loger à Pina dans la maison du notaire. Ça n’a pas été très joli d’ailleurs : je me suis fâché. J’étais parti pour une raison ou une autre avec Ridel à Caspe, et quand on est revenu, les habitants de Pina avaient condamné le notaire à mort et avaient demandé au groupe international de fusiller le mec, et ils l’avaient fusillé ! Moi je me suis vraiment fâché, j’étais vraiment pas content, je voulais virer des mecs. Martinez et Ridel m’ont supplié. Ridel a dit bon, on passe l’éponge. Mais moi je n’étais pas content, j’ai dit : on est venu pour se battre, pas pour fusiller des gens. Si on prend des prisonniers, on les remet aux Espagnols, ils en font ce qu’ils en veulent, mais nous en aucun cas on ne doit fusiller un type. Qu’on les tue quand on se bat, d’accord, mais jamais on ne doit fusiller un type… »

Et Bosc attribue la réaction de Carpentier à Ridel (p. 87) :
« Berthomieu leur hurla dessus. Il voulait les exclure sur-le-champ. Ridel tenait une même position : On est venus pour se battre, pas pour fusiller des gens. Si on prend des prisonniers, on les remet aux Espagnols, ils en font ce qu’ils veulent, mais nous en aucun cas on ne doit fusiller un type. »
D’autant plus gonflé, que comme on le voit, Ridel s’était montré beaucoup plus coulant…

Quelques exemples concernant l’histoire du petit phalangiste, piochés à la fois dans notre enquête pour la revue XXI et dans le bouquin de Bosc et mis en parallèle (on verra que pour éviter le mot à mot, il fait à chaque fois une petite entorse aux faits, et transforme nos hypothèses en certitudes) :

Notre texte dans la revue XXI :
Bien implantés à Tauste, les phalangistes s’emparent immédiatement de la bourgade. Sans tarder, des listes de « rouges » sont dressées. Tous les soirs, des miséreux du village, à qui l’on donne un fusil, un paquet de tabac et un duro (cinq pesetas), se voient confier des noms. En pleine nuit, les bourreaux tirent du lit les victimes désignées, aussitôt fusillées contre le mur du cimetière.
Un nouveau jeu se répand chez les enfants de la calle Zaragoza, où habite la famille d’Angel. Le matin, les gamins courent voir les morts gisant au cimetière, devant le mur, à droite de l’entrée.
Miguel nous mime les cadavres convulsés, yeux grands ouverts. Chez lui, il se garde bien de dire qu’il va voir les fusillés.

La version de Bosc (p. 112) :
« Les cadavres s’entassaient au fond d’une impasse. Avant, la mort n’existait pas. La fièvre de l’épuration avait gagné les plus raisonnables. Voir la mort, les gosses en devisaient bravaches, comme ils se défieraient de sauter d’un rocher. Le soir, ils escaladaient le mur de l’enceinte du cimetière et attendaient dans l’obscurité le bruit de pas, alors ils s’approchaient de la trouée pour voir passer les otages escortés par leurs bourreaux – le plus souvent, la piétaille du coin, une cohorte de meurt- de-faim qu’on avait embauchés contre une assiette chaude ou un paquet de tabac. Un choc sourd, les corps tombaient à la façon d’arbres qu’on abat, écroulés sur la terre battue. »

(Ben voyons, des mômes de 10 ans qui font le mur du cimetière en pleine nuit pour mater les exécutions — on est en plein roman gothique, façon Harry Potter et le secret du Petit Phalangiste…)

Dans la revue XXI :
Le 4 août 1936, après deux semaines de terreur, un chef de la Phalange de Saragosse arrive à Tauste. Dans un bar, il rassemble des jeunes gens du village et les harangue. On devine son discours : « Pour Dieu et l’Espagne, engagez-vous ! ». Ce soir-là, Angel ne rentre pas souper à la maison après le travail.
Très tôt, au matin, Daniel Caro constate l’absence de son fils. Inquiet, il part à sa recherche, accompagné de Miguel. Arrivés à la grand-rue qui dévale vers la sortie du bourg, ils voient un camion garé, une vingtaine de jeunes gens serrés sur sa plateforme. Angel est là, au milieu des recrues. L’adolescent esquive les regards de son père et de son frère. Le camion démarre. Il ne leur a pas adressé un mot.
« À mon père, il a fait comme un geste d’adieu. A moi, rien », explique Miguel. « Il voulait partir en cachette. Pas d’embrassade, pas un baiser, rien. Que pensait-il, à cet instant, du chemin qu’il prenait ?... Un garçon de 16 ans, qu’allait-il faire dans cette guerre ? ». Le frère se tait, son regard se perd : « Je raconte toutes ces choses, mais je préfèrerais ne pas les conter pour ne pas avoir à m’en souvenir ».
Selon Miguel, Angel n’avait aucune relation avec la Phalange avant le soulèvement. Ce qui a poussé son frère à s’enrôler alors ? Il a une hypothèse. Il pense qu’Angel a été averti par un ami - un de ceux avec qui il jouait aux cartes ou nageait dans le canal - des menaces pesant sur son père. « Quelqu’un lui a dit : ‘’Ton père, on va le tuer’’ ». Miguel veut croire que son frère a rejoint les phalangistes pour protéger sa famille.

La version de Bosc (p. 120) :
« Le 4 août dans l’après-midi, Angel Caro assistait dans le café du village au discours d’un des chefs de la Phalange locale. L’homme exhortait la foule à s’engager au nom du pays, de Dieu et du Christ-Roi. L’offensive des colonnes anarchistes devant Saragosse avait décimé dans les rangs des armées, et on recrutait les jeunes adolescents comme les vieillards. Le raisonnement d’Angel était simple : s’engager ne revenait-il pas à innocenter son père. Il ne réfléchit pas longtemps.
Il n’était pas rare qu’il passe la soirée sur la place avec ses collègues, sans avertir. Au matin, son père s’inquiéta de son absence et sillonna les ruelles de Tauste à sa recherche. Au café, il apprit le départ d’un convoi militaire sur la grande rue. Il s’y précipita et n’eut que le temps d’apercevoir le camion qui démarrait et sur la plateforme à l’arrière, parmi une vingtaine de jeunes engagés, son fils qui évitait son regard. »

Bosc s’en tient à l’hypothèse du frère cadet, qui veut croire qu’Angel s’est engagé pour sauver la mise à leur père. Mais rien ne le confirme. Angel a très bien pu au contraire s’enrôler pour défier son père, ou par bravade, attrait de l’aventure, etc…, comme on le fait remarquer plus loin dans l’article. A noter qu’au passage un chef de la Phalange de Saragosse devient « un des chefs de la Phalange locale. » — donc de Tauste

Dans la revue XXI :
Les combats terminés, les parents d’Angel se sont, pour la première fois, rendus à Pina, sur les lieux de la mort de leur fils. Les restes du Petit Phalangiste venaient d’être exhumés du terrain de football où un habitant du village les avait discrètement enterré. Sa mère l’a reconnu grâce à la trace d’une blessure qu’il s’était faite en jouant, une petite cicatrice au front juste au-dessus du nez.

La version de Bosc (p. 136) :
Ils avouèrent fanfarons qu’après l’avoir exécuté ils avaient brûlé le corps et l’avaient jeté dans une fosse commune aux abords du terrain de football. On creusa à cet endroit, et bientôt on exhuma la dépouille d’un jeune homme. À la trace d’une blessure au front qu’il s’était faite en jouant enfant, la mère d’Angel reconnut la dépouille de son fils.

(Raccourci : ce ne sont pas ses bourreaux qui ont enterré Angel, mais un villageois compatissant).

Dans la revue XXI :
Aux archives du Gouvernement Civil d’Aragon, on épluche patiemment la collection du quotidien phalangiste Amanecer. On y découvre à la date du 25 juin 1938 la nécrologie du « camarade Angel Caro Andrés » ainsi que le récit de son enterrement à Pina de Ebro.
Sur un ton grandiloquent, le correspondant local brode sur l’engagement du jeune garçon : « À son arrivée à Saragosse, quelqu’un l’admonesta : ‘’Mais où vas-tu, toi qui n’a jamais tenu une arme ? - Je vais, répondit-il vivement, défendre l’Espagne en péril, au besoin avec mes poings’’ ».
La capture d’Angel par les « hordes du nouvel Attila », qui voudraient le convertir au « communisme », est racontée en détails, tout comme son entrevue avec Durruti, « le pontife du crime ». Une citation patriotique du député monarchiste Calvo Sotelo est collée dans la bouche du Petit Phalangiste : « Vous pouvez m’ôter la vie, mais pas davantage ». L’attitude crâne de l’adolescent devant le peloton est dépeinte à grands traits : « Avec la tranquillité de Socrate buvant sa ciguë, méprisant les insultes, il demanda une cigarette ; il la fuma puis leur demanda de bien viser et de le laisser quitter ce monde, et le bras levé vers le couchant, il cria : ‘’Vive le Christ Roi ! Vive le Généralissime ! Vive l’Espa…’’, mais ne put achever sa phrase ».
Le journaliste enchaîne sur l’exhumation du corps, les funérailles solennelles avec bannières et tambours. Le père d’Angel, écrit-il, « fait un adieu émouvant à son fils tombé, rappelant tout le calvaire subi si courageusement, avec des paroles pleines d’onction patriotique et religieuse… ».

La version de Bosc (p. 137) :
« À l’enterrement, malgré les recommandations du père, on fit entendre le bruit des trompettes et des hymnes. Angel devint un martyr célébré par les franquistes, un héros du soulèvement dont l’histoire variait pour les besoins de la propagande. Le compte-rendu de l’enterrement du camarade Angel Caro Andrés dans le journal local n’était que gloire à Franco et au Christ-Roi. L’histoire de l’assassinat d’un enfant exalté qui avait affronté vaillamment les hordes du nouvel Attila, en tenant tête à Durruti, le pontife du crime. La scène de la confrontation était décrite ainsi : Angel devant l’ogre injuste se changeait en un Socrate buvant la ciguë, serein et fier, criant à ses bourreaux : Vive le Christ-Roi ! Vive le Généralissime ! »
« Malgré les recommandations du père » Tiens, d’où sort cette info ? Adrien est sans doute spirite, et a interviewé Daniel Caro par table tournante interposée… En fait, il veut donner une image entièrement positive de l’instituteur, père blessé d’un enfant martyr. Toutes les hésitations de ce modéré, ses louvoiements d’ailleurs bien compréhensibles dans ces circonstances dramatiques et le contexte ultra polarisé de l’époque sont gommés. Comme nous disait son fils Miguel : « Certains d’entre eux disaient qu’il était de gauche, mais les critiques ont cessé à la mort d’Angel. C’était une époque très difficile, mon père s’en rendait compte : les exécutions, une société sans liberté, la presse et la fonction publique sous contrôle... Il n’y avait qu’à courber l’échine et continuer à vivre ».

Et ailleurs, à propos de Tauste, Bosc écrit (p. 113) :
« Lorsque l’insurrection de juillet plongea la région dans la guerre civile, le village, peuplé d’une majorité réactionnaire, tomba aux mains des phalangistes. »

Ah bon ? « Village majoritairement réactionnaire » qui aurait élu un maire socialiste, lequel n’a trouvé son salut que dans la fuite quand les phalangistes se sont emparés de Tauste…

Lieu de naissance d’Angel selon Bosc (p. 163) : Quinto…
Où est-il allé pêcher ça ? Quinto, c’est le village où étaient regroupés les hommes de la Phalange 29, à deux pas de Pina, le dernier cantonnement d’Angel Caro. Voir ce passage de la lettre du père, que nous avions reproduit dans XXI :

« Au début du Glorieux soulèvement, mon fils Angel Caro Andrés, âgé de 16 ans, parti comme volontaire pour défendre la Patrie en danger, fut affecté à la Phalange 29 sur le front de Quinto ».

Angel était né en 1920, époque à laquelle sa famille habitait Peñiscola, dans la région de Valence. Daniel Caro enseignait dans l’école de ce village.

Phil Casoar
Etc, etc… On pourrait continuer longtemps ce jeu des 7 erreurs !

Les Giménologues, Phil Casoar, Marianne Enckell, Ariel Camacho
15 janvier 2022.