Deux anarchistes aragonais de Sariñena

samedi 3 décembre 2022, par Pascual

Ángel Pedro Mombiola Allué et María Lozano Molina

Ángel Pedro Mombiola Allué est né à Sariñena le 6 février 1908, fils de Pedro Mombiola et de Carmen Allué. Ángel était un militant de la CNT et dans la liste nominative des personnes ayant des responsabilités politiques et syndicales à Sariñena, il apparaît comme secrétaire du syndicat CNT et membre du Comité révolutionnaire de Sariñena.

Ángel a milité dans l’organisation de jeunesse anarchiste de la Fédération ibérique de la jeunesse libertaire (FIJL) et dans la Confédération nationale du travail (CNT). Dans cet environnement libertaire, il a rencontré María Lozano Molina, originaire de Saragosse et née le 3 mars 1914. María, à l’âge de 15 ans, évoluait déjà dans le mouvement libertaire, apparemment pour des « raisons familiales », elle a fait connaissance avec le groupe d’action anarchiste connu sous le nom de « Los Solidarios ».

La famille de María tenait une pension de famille fréquentée par des militants anarchistes, dont Miguel José et Augusto Moisés Alcrudo Solórzano. Miguel José et Augusto étaient frères, tous deux médecins d’idéologie libertaire qui ont participé au mouvement anarchiste de Saragosse jusqu’à ce que, après le soulèvement des troupes rebelles, ils soient fusillés à Valdespartera (Augusto Moisés Alcrudo Solórzano. Real Academia de la Historia).

Les jeunes María et Ángel, María âgée d’à peine 18 ans et Ángel de 24 ans, se sont mariés en pleine Seconde République espagnole. Ils ont été inscrits à l’état civil de Saragosse le 24 novembre 1932 et, à la suite de ce jeune mariage, ils ont eu une fille.

Avec le déclenchement de la guerre civile, María participa aux combats de rue contre les rebelles en juillet 1936 à Saragosse, marchant jusqu’à Alcubierre où le front républicain s’établit progressivement. Plus tard, à Sariñena, María a participé à la collectivité agricole du village. Ángel et María s’engagèrent volontairement dans la colonne Durruti, où Ángel refusa de commander un bataillon : « Je ne veux commander personne, je veux être un combattant et rien de plus ». Ángel s’opposa à la militarisation des milices et continua comme dynamiteur dans un groupe sur le front d’Aragon jusqu’à sa chute « où il rejoint son ancien bataillon dans la 26e division (ancienne colonne Durruti) ».

À la fin de la guerre, Ángel et Maria s’exilèrent en France. Maria fut internée dans le camp de concentration de Gaillac, dans le Tarn. Cependant, Maria s’est enfuie du camp pour rejoindre les guérilleros dans la région de la Haute-Garonne où se trouvait Ángel. Le 20 août 1944, Ángel et ses camarades Ricardo Garcia et Francisco Aguado, tous trois membres espagnols de la CNT, alors qu’ils tentaient de dynamiter un pont sur la Garonne près d’Ondes, ont été capturés et fusillés par les troupes allemandes. A l’endroit où ils ont été exécutés, une plaque et un monument dédié à leur mémoire, aux Espagnols morts pour la libération de la France, ont été placés : « Ils ne voulaient pas mourir, mais ils sont morts, ils sont morts parce qu’ils se battaient, pour la liberté du peuple ».

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Maria retourna clandestinement en Espagne pour récupérer sa fille. Son retour en France fut compliqué : « elle s’est perdue dans les Pyrénées et a eu de grandes difficultés ». À son retour, Maria s’installe à Toulouse où elle continua à être active tant au sein de la FIJL que de la CNT : « sa maison devient un refuge pour les militants libertaires et pendant ces années, elle est active dans les Jeunesses libertaires et dans la Confédération nationale du travail (CNT), effectuant des tâches pour l’Association internationale des travailleurs (AIT) ».

Maria a soutenu la résistance antifranquiste « ouvrant souvent ses portes aux militants recherchés et à ceux qui sortaient de prison », aidant notamment la guérilla libertaire de Quico Sabaté et, dans les années 1970, le Mouvement ibérique de libération (MIL) et les Groupes d’action révolutionnaires internationalistes (GARI).
Le MIL, créé à Toulouse, s’est auto-dissous dans la même ville lors d’un « Congrès » de l’organisation en août 1973. Plusieurs membres de cette organisation, dont Salvador Puig Antich, vont séjourner à diverses reprises chez Maria. A Barcelone, Puig Antich sera arrêté avec d’autres en septembre 1973, condamné à mort en janvier 1974 et garroté en mars 1974.

María a été membre du Centre de documentation libertaire, le Centre de recherche sur l’alternative sociale de Toulouse (CRAS) dont elle a été présidente. C’était une femme combative qui a participé à la campagne contre la centrale nucléaire de Golfech. Le collectif la Rotonde, dont elle faisait partie, a publié en 1999 le livre Golfech – le nucléaire.

Habituée des manifestations et des rassemblements, Maria Mombiola s’est éteinte le 19 février 2000. « Je n’ai plus la force d’allumer la mèche, mais je garde ma conscience intacte. D’autres sont là et s’en réjouissent à juste titre. Une substance qui nourrit mon espoir. Un monde meilleur et non le meilleur des mondes ». Ces mots ont été insérés dans une lettre des Amis de Maria que nous reproduisons ci-dessous.

María est décédée à Toulouse et ses cendres ont été dispersées dans la Garonne le 24 février de la même année. Considérée comme une poétesse et une militante anarchiste, María Lozano Molina était une femme engagée et une combattante, avec des idéaux forts qui l’ont accompagnée tout au long de sa vie. María était également connue sous le nom de María Mombiola.

À Toulouse, une plaque commémorative à la mémoire de Maria était placée sur le mur de la maison où elle vivait, rue Pargaminière, mais lorsque le bâtiment a été restauré, la plaque a été enlevée. Aujourd’hui, une rue de Toulouse porte le nom de Maria Mombiola.
Ce sont des vies à qui nous devons reconnaissance, de personnes qui ont dû quitter leur maison à cause du fascisme et qui ont continué à lutter contre le fascisme en France. Ils ont donné leur vie et leur souvenir est une immense flamme pour allumer la mèche d’un monde meilleur. En leur mémoire, nous alimenterons cette flamme qu’est la liberté.

Traduction d’un texte en castillan publié sur le site d’information Os Monegros sur la région des Monegros en Aragon, dont fait partie le village de Sariñena.

https://osmonegros.com/2019/02/13/a...


Lettre des amis de Maria :

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À vous tous

Maria Lozano Mombiola est décédée ce samedi 19 février 2000 à midi.

Dans son appartement de la rue Pargaminières à Toulouse, occupé pour une bonne partie sans titre, refuge de solidarité pour les compagnes et les compagnons d’infortune ou de passage, Maria s’est éteinte à l’aube de ses 86 ans, lentement, sans souffrances inutiles, un passage prudent et en douceur vers le néant ou l’inconnu. Elle a atteint fatalement la fin de sa vie vouée à la transformation sociale, à ce monde qu’elle voulait meilleur, qui lui a fait voir avec tant d’autres, cette révolution réprimée dans son sang.
Née en Espagne, à Saragosse le 3 mars 1914, Maria, de son vrai nom, a adhéré à la réalité historique du moment et allait vivre l’Histoire jusqu’au bout... Oser, penser et vivre le rêve révolutionnaire dans l’Espagne de 1936-37... Le peuple uni, libéré de ses chaînes, collectivisant les moyens de production, renversant des millénaires d’obscurantisme, d’esclavage et de morale immonde. Une révolution défendue les armes à la main, Maria sur le front d’Aragon. Une révolution qui allait être combattue par la République et les sociaux-démocrates européens, assassinée par les staliniens et massacrée par l’armée franquiste.

Utopistes, républicains, révolutionnaires, peuples d’Espagne, finalement contraints de fuir la victoire fasciste en 1939 et de trouver « refuge » dans les griffes de l’État français, les serres d’un gouvernement républicain de gauche. Une déchirure écartelant les êtres, la mère et l’enfant, comme ce fut le cas pour Maria et sa fille.

Une guerre qui fit un million de morts et 500 000 réfugiés. La moitié de ces exilés inaugurera les premiers camps de concentration, camps de la mort, que tant de volontés d’extermination rendirent tristement célèbres, du sud de la France au fin de l’Est, en passant par Auschwitz et Gaillac dans le Tarn. De ce dernier, Maria a réussi à s’échapper pour rejoindre le Maquis. Rejoindre également son compagnon et mari, Angel... et le perd immédiatement en août 1944 sur une route de Haute-Garonne. Angel, attaqué avec deux autres « terroristes » résistants en route pen allant dynamiter le pont près d’Ondes. Tous trois membres espagnols de la CNT.

Amour brisé pour la Libération. Maria s’installera à Toulouse. Comment ne pas continuer à se battre jusqu’au bout, et à espérer toujours, quand une vie est si bien engagée ? Comment ne pas être, comme Maria l’a été, aux côtés de tous ces vaillants inconnus, qui voulurent en conclure avec Franco, ces Sabaté et autres qui reprirent les armes ? Tous ces insatifaits, morts au combat ou sous la torture qui précédèrent el Caudillo, décédé dans son lit lui, en 1975. Que de morts pour cet avatar royal de la démocratie.

Maria ne s’arrêtera donc jamais, des jeunes libertaires de la CNT en passant par l’AIT, les groupes d’action autonomes et puis le CRAS, le centre d’archives auquel elle contribua et dont elle restera à jamais la présidente. Maria était une partisane de la démocratie directe et de l’action directe. Une femme toujours impliquée, donnant son cœur, sa voix et ouvrant toujours sa porte aux activistes de ces dernières années, aux révolutionnaires du MIL, Puig Antich, garrotté en 1974 à Barcelone, aux membres du GARI, aux rebelles locaux, aux sortants de prison, aux fugitifs ici et là-bas, à Jean-Marc, son « ange exterminateur », « el revolucionario », condamné à la peine de sûreté, à tant d’amis (es) qui l’ont côtoyée et oubliée., à tous les êtres, mais aussi à maints crétins qui surent exploiter sa générosité.

Comme une colombe au loin, Maria a fini par s’en aller. Arrivée en bout de course, elle nous a quitté. C’est le dernier « cadeau » qu’elle nous a laissé, nous donnant enfin un peu de repos, juste un souvenir à mijoter. Son départ va créer un vide chez celles et ceux qui l’ont accompagnée pour lui prendre la main une dernière fois avant son ultime voyage « al mar » en cendres, via Garonne déchaînée.
« Je n’ai pas la force d’allumer la mèche, mais je garde ma conscience intacte. D’autres autres sont là et avec raison se délectent de la substance qui alimente mon espoir. Un monde meilleur et non pas le meilleur des mondes. »

Nous l’avons soutenue pendant des années et nous savons combien cette femme était devenue difficile à vivre, intransigeante, s’en prenant toujours à ses amis (es) les plus proches. Peu importe, Maria restera notre amie, jusqu’à ce que la mémoire s’efface. Sa mort, bien sûr, nous ramène à l’appréhension de notre propre mort, mais le souvenir de sa vie entièrement liée à un idéal, à la volonté d’émancipation, entretiendra en nous ce sentiment de complicité ressenti à son proche contact.

Des Amis (es) de Toulouse

« L’action est difficile pour rendre l’acte risible. Il reste tant de choses à changer dans le décor, ce serait dommage de partir sans avoir essayé un peu. »

Quelques éléments à propos de Maria (1914-2000) et d’Angel (1908-1944) Mombiola édités par le Centre Mombiola de Toulouse :
http://cras31.info/IMG/pdf/maria_mombiola_historique_31_01_2017.pdf